Journal
Elisabeth Leonskaja interprète Schumann (2CD eaSonus) – Le Disque de la Semaine – Compte-rendu
Elisabeth Leonskaja gâte le public parisien en ce début d’année. Après deux concerts de musique de chambre au théâtre des Champs-Elysées il y peu, on la retrouve en récital à la Philharmonie de Paris, le 10 février, en remplacement de son collègue Nelson Freire qu’une fracture oblige à se tenir momentanément éloigné des scènes. Leonskaja vit à Vienne depuis 1978, mais elle demeure pour tous les amoureux de clavier « la Grande Dame du piano russe », très marquée par proximité avec Sviatoslav Richter pendant de longues années. Intransigeance des choix musicaux, pudeur – et générosité – du propos : chaque concert de Leonskaja constitue un moment précieux et l’on s’impatiente de la retrouver dans un programme germanique idéalement accordé à sa sensibilité : Sonate « La Tempête » de Beethoven, Sonate n° 18 D 894 de Schubert et Sonate n° 1 de Schumann.
Schumann, compositeur cher à une interprète qui signe un magnifique double album comprenant cette Sonate op. 11, mais aussi la Sonate n° 2 op. 22, les Variations Abegg, les Papillons, les Etudes symphoniques (avec les Etudes posthumes en parallèle) et les Geistervariationen WoO 24. Une splendide anthologie qui viendra consoler ceux qui ne pourront assister au récital de la Philharmonie – et prolonger le bonheur des auditeurs présents !
Irrésistible effusion de poésie : les Abegg, manifestent une fraîcheur, un lyrisme – quel art du legato ! – à fondre de bonheur. On ne résiste pas plus aux Papillons, premier carnaval du musicien allemand, dont la kaléidoscopique écriture est traduite ici avec autant de richesse dans les couleurs que de mobilité des éclairages : la musique semble naître sous les doigts de l’interprète.
La conscience la globalité de la partition, conjuguée à une rare capacité d’en sonder chacun des maillons, force l’admiration dans des Variations symphoniques dont l’élan, le relief – entre moments d’exaltation et replis secrets – captivent par la souplesse du jeu, le naturel des enchaînements, le foisonnement de la polyphonie. Un cœur bat derrière notes ; une respiration porte la phrase. Là comme dans des Variations posthumes que la pianiste distille avec une science des timbres admirable. Autre thème et variations, celui en mi bémol majeur « Geistervariationen » s’inscrit au terme du parcours créateur de Schumann. Une œuvre méconnue dont Leonskaja souligne la fantomatique étrangeté de prégnante et troublante façon.
Les deux sonates regroupées sur la seconde galette de l’album ne son pas moins réussies. Odyssée d’une âme amoureuse, la 1ère Sonate en fa dièse mineur est fermement tenue de bout en bout, mais la passion ne s’y fait jamais brouillonne. Florestan sait, autant que nécessaire, y laisser la parole à Eusebius, et Leonskaja sonder les recoins de la partition. On goûte avec un égal bonheur la Sonate op. 22 dont le So rasch wie möglich (aussi vite que possible) initial est crânement assumé mais n’oublie jamais, derrière le défi digital, le tumulte du sentiment. Et quel piano, quel art du toucher ... Ecoutez l’Andantino chanter, rêver plutôt ; la façon dont le caractère markiert du scherzo assumé avec une sonorité toujours pleine et riche. Précieux album, tout de poésie, d’ardeur et de tendresse, en un mot d'humanité.
Alain Cochard
Récital d’Elisabeth Leonskaja
Œuvres de Beethoven, Schubert et Schumann
10 février 2020 – 20h30
Paris – Philharmonie (Grande Salle)
philharmoniedeparis.fr/fr/activite/recital-piano/20346-nelson-freire-remplace-par-elisabeth-leonskaja
Photo © Marco Borggreve
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