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Trois questions à Cécile Roussat et Julien Lubek, metteurs en scène de Dreams à l’Opéra de Rennes – Un XVIIe siècle fantasmé
Comment est née l’idée de Dreams ?
Cécile ROUSSAT : En fait, notre rencontre avec Damien Guillon remonte à un stage organisé il y a six ans. Je donnais des cours de danse baroque et lui était le professeur de chant. Nous avons sympathisé, et cela nous a donné envie de réfléchir à un projet commun. Un jour, il nous a parlé de ce programme autour de la musique anglaise, et l’aventure a commencé comme ça.
Julien LUBEK : Il y a quinze ans, nous avons créé un spectacle avec Vincent Dumestre et le Poème Harmonique, Carnaval baroque, qui tourne encore (nous le reprendrons en août prochain dans le Périgord). Pour Dreams, il y avait aussi au départ un programme musical avec sa cohérence, le choix de rapprocher deux compositeurs qui, malgré un siècle d’écart, on des points communs dans l’intimité des airs et les affects qui y sont développés. Partant, nous avons laissé libre cours à notre imagination pour concevoir non pas une trame narrative mais une façon d’habiter scéniquement ces musiques instrumentales et vocales.
C. R. : Cela nous a posé une difficulté au tout début. En écoutant le programme, nous nous sommes demandé : Mais qu’allons-nous pouvoir ajouter à tant de beauté ? C’est toujours un peu le problème auquel on se heurte, surtout avec des musiques qui n’ont pas été écrites pour la scène. Par ailleurs, nous voulions toucher le public le plus large, et pas seulement en termes d’âge, permettre à des gens complètement novices de découvrir l’univers de la musique ancienne. Il ne s’agissait pas de plaquer un grand spectacle sur cette musique.
J. L. : En fait, le Banquet Céleste a un partenariat avec la MJC de Pacé, dans la banlieue de Rennes, et c’est là que nous avons répété, l’Opéra de Rennes n’arrive qu’en fin de parcours. Le fait de nous trouver dans un petit théâtre moderne, sans dorures, nous a nourris et nous avons cherché à travailler sans prétention, en visant la simplicité d’accès. Il fallait concevoir un spectacle susceptible de tourner dans de petites salles, mais nous avons exclu l’idée de le donner dans des églises ou même en extérieur, car nous tenions à conserver l’écrin du théâtre, et un minimum de conditions techniques pour créer la magie : nous n’utilisons pas la vidéo, mais nous avions besoin de lumières, des cintres pour faire apparaître des choses…
Quelle esthétique avez-vous choisie pour ce spectacle ?
J. L. : Au départ, Damien ne souhaitait pas être trop « mis en scène », mais nous avons vite compris que ce spectacle n’avait de sens que s’il était au centre de l’histoire, parce que c’est lui qui incarne des émotions par sa voix. Nous avons donc eu l’idée de le faire venir du public et de raconter comment un spectateur de notre temps qui monte sur scène pour se laisser happer par ces témoignages lointains.
C. R. : Esthétiquement, nous nous sommes inspirés des tableaux de vanité, qui nous ont fournis les accessoires qu’utilise Damien : le sablier, la plume, le crâne. C’est un univers féerique et poétique, mais dans lequel on entre sans que Damien soit pour autant un personnage historique, lointain.
J. L. : Le costume et le maquillage des trois musiciens montrent qu’ils appartiennent à un XVIIe siècle fantasmé, comme des fantômes qui reprennent vie le temps du spectacle et qui attirent le protagoniste dans leur monde.
C. R. : Le héros et son double se perdent dans cet univers durant l’heure que dure le spectacle, puis reviennent à la réalité à la fin. Au début, on se situe dans une sorte de forêt enchantée, évoquée à travers des branchages où sont fixées les bougies.
J. L. : Le décor s’inspire aussi de tableaux du XVIIe siècle, c’est un intérieur, un pan de mur, entre la ruine et l’esquisse, avec une table supportant des objets. Des textes que Damien interprète nous avons retenu un élément central, l’idée du double narcissique, avec cette mélancolie qui est surtout présente chez Dowland. On rencontre souvent le thème du poète qui se regarde, c’est pourquoi le protagoniste chanteur a dans le spectacle un double danseur-acrobate, Aurélien Oudot, qui traduit gestuellement et corporellement les affects que Damien nous fait traverser.
C. R. : Le double figure aussi dans les Vanités, quand le peintre se représente lui-même dans un miroir ou quand on le voit, plus âgé ou plus jeune, sur un petit tableau dans le tableau.
Parvenez-vous toujours à faire coïncider les œuvres avec votre univers, ou y a-t-il des opéras que vous ne pourriez pas mettre en scène ?
C. R. : Au début, nous pensions que nous pourrions tout faire, mais parce que nous suivons un chemin que nous avons envie d’approfondir, nous refusons parfois parce que nous sentons que nous n’arriverons pas à habiter avec notre langage une musique ne nous parle pas, qui ne nous touche pas personnellement. Dowland et Purcell, au contraire, c’est très lié à ce que j’aime.
J. L. : Sur les opéras que nous avons montés la saison dernière, une partie du public ne s’est pas reconnue dans l’univers qui nous venait en tête à l’écoute de la musique. A Liège, La Clémence de Titus a plu énormément à un public plus jeune, moins habitué à l’opéra, alors que les mélomanes confirmés ont été déstabilisés. Même chose avec Les Pêcheurs de perles à Turin : nous en avions fait un conte oriental très coloré, et des gens ont été touchés par la naïveté apparente du propos, alors que d’autres n’ont pas du tout compris.
C. R. : C’est peut-être aussi une question de répertoire. Nous venons de la musique ancienne, où la mentalité des interprètes est plus proche de l’artisanat, avec une certaine simplicité apparente, tandis que la musique du XIXe siècle ne repose pas sur les mêmes codes esthétiques.
J. L. : Pour ma part, je serais incapable de travailler sur Wagner, et je pense que les personnes qui aiment profondément Wagner ont une vision de la scène et du monde très différente de la mienne. Nous ne cherchons pas à choquer, à révolutionner la mise en scène, mais seulement à toucher le public, mais c’est impossible s’il vient chercher autre chose. Avec Damien Guillon et le Banquet Céleste, notre travail aurait un sens, une cohérence, parce que nous nous sentons poches de ses choix musicaux, de sa façon d’interpréter les œuvres. A une époque où les chefs choisissent rarement le metteur ou scène ou les solistes, il nous semble absurde de vouloir réunir des pièces de puzzle qui n’ont rien à faire ensemble.
C. R. : J’aimerais beaucoup mettre en scène Don Juan, mais la proposition que nous pourrions faire ne retiendrait pas forcément l’attention des directeurs de théâtre.
J. L. : Nous aimons beaucoup Mozart, et nous sommes justement en train de créer un spectacle pour la Mozartwoche de Salzbourg en janvier prochain. Rolando Villazón voulait une fantaisie clownesque, et ce sera un voyage de Mozart à travers les époques : on le voit sortir de son portrait dans un musée, et il rencontre toutes les époques, les civilisations.
C. R. : Notre première mise en scène lyrique était La Flûte enchantée. Pour La Clémence de Titus, Stefano Mazzonis se doutait bien que nous allions faire quelque chose à notre sauce.
J. L. : Offenbach nous plairait beaucoup aussi. L’humour pour nous est très important. Pas dans Dreams, évidemment mais ça ne nous manque pas, car il y a cette poésie, cette fragilité qui nous touche.
C. R. : C’est un spectacle conçu pour les gens qui aiment la mélancolie et la fantaisie, qui gardent un œil d’enfant caché dans leur cœur…
Propos recueillis par Laurent Bury le 6 novembre 2020
Damien Guillon / Le Banquet Céleste (Isabelle Saint-Yves, viole de gambe ; André Henrich, luth, Kevin Manent-Navratil, clavecin, Aurélien Oudot, danseur acrobate)
Disponible en replay (pendant un an) sur Francetv.com - Culturebox à partir du 20 novembre 2020 (à 18h)
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Diffusion sur TVRennes les 18 et 21 novembre (à 21h), le 22 novembre 2020 (à 15h)
Photo © Julien Mignot
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