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Andris Nelsons et l’Orchestre du Festival de Bayreuth à la Philharmonie – Grande transe – Compte-rendu
Ambiance de liesse pour le premier grand concert classique de la Philharmonie de Paris cette rentrée : et avec quelle affiche ! On sait combien l’espèce wagnérienne est tendue, passionnée, à vif. Là, avec la venue de ce que l’Allemagne peut offrir de mieux en sacrifice au Dieu de Bayreuth, le public surexcité avait de quoi alimenter sa quête ; avec l’exceptionnelle venue de l’Orchestre du Festival de Bayreuth et d’un chef aussi électrique que le Letton Andris Nelsons, le festin fut de taille.
© Ava du Parc / J'adore Ce Que Vous Faites
Créé en 1876 sur la demande de Wagner, puis mis en place en 1886 dans sa forme saisonnière, l’orchestre, qui change évidemment plus qu’une formation sédentaire, parvient pourtant à garder intacte une flamme qui ne s’est jamais démentie et a permis, outre les grandes soirées du Festival, de graver quelques unes des versions de référence de l’œuvre wagnérienne.
Eblouissement, étonnement, presque, que la clarté d’émission, exaltée par Nelsons, de chaque instrument, mis en valeur comme jamais, avec quelques interventions mémorables du hautbois, bien plus offensif qu’à l’ordinaire, et des cors rutilants. Juste une note défaillante à un seul instant, comme pour mieux faire ressortir la perfection de ces cuivres ! Il arrive que l’acoustique de la Philharmonie se révèle imparfaite, selon les placements : cette fois, elle était vaincue.
Klaus Florian Vogt © Ava du Parc © J'adore Ce Que Vous Faites
Concert surprenant à dire vrai, même si le programme en paraissait des plus classiques pour un wagnérophage patenté : extraits symphoniques et vocaux de Lohengrin et Parsifal, tout d’abord : bref les illuminés, portés par la grâce. Une belle progression allant du Prélude de l’acte I de Lohengrin au dernier air du héros, puis Prélude de Parsifal et grands airs avant de clore sur l’Enchantement du Vendredi saint. Pourtant, l’émotion n’était encore au rendez vous, car malgré la subtilité et l’intelligence musicale de la direction de Nelsons, plus attentif à la polyvalence des sonorités qu’au recueillement ému, la voix de Klaus Florian Vogt ne parvenait pas à diffuser l’angoisse, le désespoir ou la transcendance qui imprègnent les grands airs de Lohengrin et Parsifal. Voix parfaite, assurément, sans la moindre faille, timbre et diction d’argent brillant, ampleur phénoménale, couvrant parfois un orchestre dont le chef n’essayait pas d’atténuer la véhémence, tout à sa flamme : mais il y manque la brisure, non vocale bien sûr, mais émotionnelle.
Christine Goerke © Ava du Parc / J'adore Ce Que Vous Faites
Retournement complet de situation avec la deuxième partie, ouverte sur une Chevauchée des Walkyries qui a passé comme une tornade, écrasante, folle furieuse, avec un orchestre déchaîné, sans doute heureux de galoper hors de sa fosse. Un Thielemann, à côté, semble mendelssohnien… Puis tout est devenu sublime, lorsque Nelsons, pénétrant au cœur d’un univers halluciné, a fait ressortir la formidable complexité, la richesse du lugubre Crépuscule des Dieux. Tout était gigantesque dans ce Voyage de Siegfried sur le Rhin, suivi de la Mort et de la Marche funèbre, pour finir en bûcher avec la scène finale de Brünnhilde.
Et là, l’irruption sur la scène de Christine Goerke, aussi vaste que l’enjeu, avec sa crinière blonde et ses voiles bleus déployés, sa voix dorée, charnue, aussi incendiaire que la musique qu’elle épousait admirablement et parfois dominait, a créé un contraste surprenant avec la pureté blanche que le ténor avait projetée dans la première partie. Son rayonnement, son charisme étaient tels que là se trouvait le nombre d’or de l’émotion dramatique et musicale. Au-delà des sons, les couleurs. Un triomphe a salué cette grande transe, que le chef manipulait en magicien, galvanisant un orchestre qui l’applaudit ensuite à tout rompre.
Jacqueline Thuilleux
Philharmonie de Paris, le 1er septembre 2021
Photo © Ava du Parc / J'adore Ce Que Vous Faites
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