Journal
Fidelio à l’Opéra-Comique – Pénitencier high-tech - compte-rendu
Ce mélange d’images filmées sur lesquelles on découvre dès l’ouverture Florestan matraqué avant d’être incarcéré ; images captées en direct le plus souvent en gros plan pour restituer l’émotion du personnage, ou encore celles, projetées sur un mur d’écrans, issues des caméras de surveillance qui scrutent en permanence chaque cellule, pour contemporain qu’il est, tient plus de l’installation que de la mise en scène. Ce procédé, aujourd’hui largement plébiscité, capte indéniablement l’attention du spectateur dont l’œil est sans arrêt sollicité, mais finit aussi par le détourner du plateau où, en principe, l’action aussi doit se passer et raconter quelque chose d’essentiel.
Si la première partie est plutôt satisfaisante, portée par une vision sans pitié des conditions d’incarcération marquées par la brutalité et le principe de déshumanisation, des personnages campés avec justesse (celui de Marcelline en bibliothécaire, celui de Fidelio/Léonore en gardien armé jusqu’aux dents) et des décors très réalistes signés Valérie Grall, la seconde fonctionne moins bien. Ne pouvant aller dans la citerne creuser la tombe de Florestan, Rocco et Fidelio conduisent le condamné à l’infirmerie pour lui inoculer une dose de poison mortel sur ordre de l’odieux Pizarro. La scène pendant laquelle Fidelio hurle qu’il est Léonore, l’épouse de Florestan, sans pouvoir le prouver, tient en joue Pizzaro qui finit par lui reprendre son arme avant que cette dernière ne le menace et le fasse fuir en pointant sur lui la caméra qu’elle vient d’arracher des mains du cameraman, est un ratage total. Par ailleurs l’intrusion d’enfants lors de la sortie des prisonniers, tel un message d’espoir et de paix, s’avère bien simpliste pour ne pas dire caricaturale.
Poursuivant sa collaboration avec Favart, Raphaël Pichon est de retour dans la fosse à la tête des instrumentistes de Pygmalion, ce dont on ne peut que se réjouir. Les sonorités soyeuses des instruments anciens, la franchise des attaques et la vivacité du tempo servent une partition géniale mais parfois déséquilibrée, à laquelle le chef apporte toute son énergie. Net et tendu comme un arc, son discours épouse la vision du metteur en scène avec subtilité et permet aux interprètes de s’épanouir et d’exister pleinement.
De Siobhán Stagg nous ne jugerons que la bonne prestation physique et les dialogues parlés, plutôt efficaces, la soprano australienne ayant dû être doublée vocalement en fosse par la volcanique Katherine Broderick, arrivée in extremis quelques heures avant le lever du rideau, pour sauver la représentation et apporter sa touche personnelle au rôle exigeant de Fidelio, qu’elle maîtrise sans faillir.
Très attendu dans celui de Florestan, qu’il joue à l’économie sans y mettre l’intensité requise, Michael Spyres dont la vocalité ne cesse de surprendre, n’est à aucun moment éprouvé par l’écriture beethovenienne, dont il traduit les emprunts à Gluck et à Cherubini, tout en s’emparant de la modernité du style. Son air d’entrée admirablement restitué, sonne avec une incroyable aisance et dans un allemand superlatif qui laisse présager de futures prises de rôles passionnantes.
Mari Erickmoen est une excellente Marcelline, flanquée d’un pressant amoureux, le gardien Jaquino (impeccable Linard Vrielink) et du formidable Rocco tenu par un Albert Dohmen pétri d’humanité. Gabor Bretz joue et chante Don Pizarro avec une grande conviction, tandis que le séduisant Christina Immler ne fait qu’une bouchée de Don Fernando, les membres du Chœur Pygmalion triomphant des éclats beethoveniens dans un étourdissant finale.
François Lesueur
Photo : Michael Spyres (Florestan), Siobhan Stagg (Fidelio / Leonore), Albert Dohmen (Rocco) © S. Brion
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