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Festival Paris des Orgues 2022 – Pépites d’orgue – Compte-rendu
À en juger par la haute tenue des premiers concerts du Festival Paris des Orgues (1), la manifestation tient indéniablement ses promesses : qualité et diversité des répertoires et des esthétiques, des lieux et des intervenants. À cet égard un franc succès, juste reflet de la palette de cet instrument que l'on sait « pas comme les autres », polymorphe et changeant à un degré auquel aucun autre ne saurait prétendre. Le succès est plus incertain en termes de fréquentation, situation spécifique à l'orgue et tout particulièrement à Paris, où des auditions d'orgue régulières sont gratuitement proposées par les principales tribunes. D'autant que la Ville de Paris n'aura finalement guère prêté son concours, tant pour l'indispensable communication que l'aide au financement de cette riche programmation.
Comme un orchestre
Le Festival s'est ouvert le Jour de l'Orgue : cette année le 8 mai, concert gratuit sous-titré Comme un orchestre… ayant attiré un public nombreux. Marie-Ange Leurent (titulaire) et Éric Lebrun proposaient à quatre mains et pieds un programme haut en couleur à l'orgue Cavaillé-Coll (le premier à Paris, 1838) de Notre-Dame-de-Lorette, très retouché par Théo Haerpfer dans les années 1970 mais brillamment relevé en 2020 par Yves Fossaert : la nuit et le jour en regard de la situation antérieure (à l'exception des pleins-jeux, travaux non encore effectués). Première partie : Le Carnaval des animaux de Saint-Saëns, sur la base de la transcription pour piano de Lucien Garban rehaussée des couleurs de l'orgue.
Entre les pièces, le texte fameux de Francis Blanche (enregistré dès 1955 par Claude Dauphin), d'un délicieux mordant, concis et plein d'humour, d'allusions et de résonnances (2). Musique et texte ont été gravés par les mêmes interprètes à l'orgue de Vouvant (Chanteloup Musique), avec Matthieu de Laubier, récitant aux multiples voix également présent ce 8 mai : à écouter en boucle pour en goûter l'esprit, dont un savoureux couplet de l'anchois à l'accent du Midi. Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun le redonneront le jeudi 21 juillet dans le cadre du Festival d'Été de Vouvant (3). En seconde partie, un monument : Symphonie « du Nouveau Monde » de Dvořák, prodige d'endurance pour les interprètes, galvanisés par cette musique admirablement en situation à l'orgue, pleinement évocateur de l'orchestre symphonique dans toute sa splendeur mais aussi et surtout ses infinies nuances – aussi vrai que nature (4).
Pépites d'Orgue
Le deuxième concert, Pépites d'Orgue… à Saint-Eustache, était consacré à trois jeunes musiciens nés en 2002 et 2004, à l'orée de leurs carrières respectives mais dont les noms ont déjà maintes fois été rencontrés ces derniers temps, entre CNSM de Paris, Saint-Séverin ou Saint-Sulpice. Chacun d'une sobriété, d'une aisance (également dans le maniement d'un orgue monumental et complexe) et d'une discipline impressionnantes, solistes éminents, jouant par cœur et sans assistants de registration, et « chambristes ». Mélodie Michel ouvrit le feu avec une Danse macabre de Saint-Saëns richement contrastée (transcription d'Edwin Lemare), suivie d'une improvisation solide et de bon aloi, la mystérieuse gravité initiale se faisant de plus en plus animée. Alma Bettencourt offrit un Choral n°2 de Franck d'une vraie maturité (les Trois Chorals seront proposés durant le Festival, année Franck oblige) : large déclamation et lyrisme sans pathos, superbe.
Alexis Grizard (photo) s'illustra dans le Prélude et fugue sur le nom d'Alain de Duruflé, d'une souple et bruissante fluidité, avec un sens de la phrase magnifiant au fur et à mesure la construction de cette œuvre envoûtante, jusqu'à l'impérieuse monumentalité de la fugue et l'abrupte péroraison. De nouveau Saint-Saëns, à quatre mains (AB-MM) : immortel Cygne (« une noble bêtise », selon le compositeur), pur et sans l'ombre d'un effet, tout élégance, digne de Lohengrin ! Le temps présent fut évoqué par Regard vers Agartha (MM-AG) de Jean-Baptiste Robin (2014) – du nom d'un royaume légendaire qui serait relié aux cinq continents par un réseau de galeries souterraines –, troublante double passacaille rehaussée d'interrogations (5). Wagner concluait en beauté : Chœur des Pèlerins de Tannhäuser (AB-AG), art vibrant du chant et sobre grandeur.
Orgue et airs d'opéra
Tout autre chose pour le concert suivant : Orgue et airs d'opéra à La Madeleine, par la mezzo-soprano Valérie Wuillème et Oliver Périn, titulaire-adjoint du Cavaillé-Coll, trois de ses prédécesseurs étant évoqués. Dont Lefébure-Wely, qui ouvrait et refermait le programme. Fameux Boléro de concert en tribune suivi de Chœur de Voix humaines, le premier d'un grandiose apparat instrumental, le second touchant de poésie flûtée en accompagnement du jeu de Voix humaine – on aurait grand tort de vouloir enfermer Lefébure-Wely dans une seule et même case, taxée de facilité (et l'on sait que Cavaillé-Coll admirait ses talents d'improvisateur). Du même suivit un O Salutaris, la conduite tant de la partie vocale que de l'harmonie ne manquant pas de tenue. Toutes les pièces chantées le furent dans le vaste chœur, avec accompagnement de l'orgue de chœur (20 jeux, à l'origine contemporain de l'orgue de tribune, retouché par Gonzalez puis Dargassies), la Salutation angélique de Gounod venant confirmer le charme d'une époque très singulière L'Andantino en sol mineur (1857) de Franck mit en valeur les possibilités solistes de l'orgue de chœur.S'ensuivirent un Salve Regina de Puccini, un très séduisant Ave Maria de Saint-Saëns (titulaire du grand orgue, tout comme Fauré), une émouvante Berceuse de Joseph Guy Ropartz : claire diction de Valérie Wuillème, galbant la phrase, belles attaques dans l'aigu et conduite souple de la voix, le timbre offrant globalement moins de stabilité dans le médium.
Retour en tribune en seconde partie : Prélude funèbre de Ropartz (longtemps directeur du Conservatoire de Nancy, comme aujourd'hui Olivier Périn), bouleversant, et son contraire : pimpante Marche en ut de Lefébure-Wely, naguère découverte avec Saorgin à Nantua, puis, dans le chœur : Salve Regina de Fauré, très pur, « extraordinaire » Invocation à Marie de Jules Minard (maître de chapelle à Saint-Paul-Saint-Louis du Marais), véritable marche opératique redisant la porosité entre les genres musicaux de cette époque, Ave Maria de Cavalleria rusticana de Mascagni, enfin l'incroyable motet Bénissons à jamais le Seigneur de Lefébure-Wely, faisant malgré soi songer au Salut à la France de La Fille du régiment de Donizetti, les vocalises en moins. Grandes pièces et miniatures, bien des découvertes, couronnées d'une page imprévue, dictée par l'actualité : Priez pour paix, texte de Charles d'Orléans mis en musique par Poulenc en 1938 – tant de profondeur et d'éloquence surgissant de tant de simplicité.
Trop peu de monde pour ces deuxième et troisième concerts, un sentiment de concert privé pour happy few. Puisse sainte Cécile, pour le reste de la programmation, convaincre un public quelque peu infidèle (manquant peut-être aussi de curiosité) quand l'entrée est – modiquement – payante. Cela reviendrait sinon à dénier aux organistes la possibilité, comme le font les autres musiciens, de vivre de leur art.
Michel Roubinet
Paris, églises Notre-Dame de Lorette, 8 mai ; Saint-Eustache, 17 mai ; La Madeleine, 20 mai 2022
www.festivalparisdesorgues.com/copie-de-notre-programmation
(1) Trois questions à Jean-François Guipont
www.concertclassic.com/article/trois-questions-jean-francois-guipont-president-de-lassociation-le-paris-des-orgues-tribunes
(2) Saint-Saëns, Le Carnaval des Animaux, texte de Francis Blanche (et partition)
www.musicologie.org/sites/c/carnaval_des_animaux.html
(3) L'orgue Yves Fossaert de Vouvant (Vendée)
orgueetmusiqueavouvant.com/l-orgue-fossaert/
Vouvant – Festival d'Été 2022
orgueetmusiqueavouvant.com/festival-ete-2022-07-21/
www.chanteloup-musique.org/actualités/
(4) Une captation à l'orgue Cavaillé-Coll de Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, par les mêmes interprètes, est disponible sur YouTube
www.youtube.com/watch?v=5IBGwiv7sMU
(5) Jean-Baptiste Robin a enregistré l'œuvre avec Frédéric Champion à Dudelange : CD Fantaisie mécanique, Brilliant Classics, 2017
www.jbrobin.com/?q=discographie
Photo © Philippe Brandeis
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