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Le Chevalier à la rose selon Jean Claude Berutti à l’Opéra d’Avignon – Deux femmes au cinéma – Compte-rendu
Après l’audacieux Peter Grimes programmé l’an dernier pour la réouverture de l’Opéra d’Avignon restauré, Frédéric Roels propose cette saison une autre œuvre essentielle du XXe siècle, qui n’avait, elle non plus, encore jamais été jouée dans ces murs. Le Chevalier à la rose est une production qui avait failli voir le jour en mars 2021, et qui fut alors interrompue en pleines répétitions. Si l’on a pu voir fleurir ici et là des lectures qui s’affranchissaient avec bonheur du réalisme plus ou moins nostalgique en vigueur depuis la création en 1911 (Damiano Michieletto à Vilnius (1) et bientôt Bruxelles, Barrie Kosky à Munich), Jean-Claude Berutti opte pour une mise en scène très respectueuse du livret, sans symboles – tout au plus verra-t-on, à la toute fin du dernier acte, Mohammed apporter un grand sablier renvoyant aux nombreuses références au passage du temps contenues dans le livret.
Les décors sont très sobres, les peintures de scènes coloniales chez Faninal faisant peut-être allusion à une fortune bâtie sur l’esclavage, et l’auberge du troisième acte n’est que l’envers de la chambre de la Maréchale, dont on voit des machinistes retourner les panneaux durant l’intermède orchestral. L’action est actualisée mais, à en juger d’après les costumes, semble fluctuer entre plusieurs époques, entre les années 1930 et aujourd’hui, avec quelques clins d’œil au XVIIIe siècle, puisque les protagonistes de la présentation de la rose d’argent se déguisent pour l’occasion. Et surtout, des extraits de l’adaptation cinématographique sortie en 1925 sont projetés à plusieurs reprises sur le fond du décor ou sur un écran : cinq ans après Le Cabinet du docteur Caligari, Robert Wiene changeait radicalement d’esthétique et optait pour une grande reconstitution historique, avec un style de jeu très théâtral.
Les fragments choisis par Jean-Claude Berutti privilégient deux actrices, Huguette Duflos en Maréchale, et Elly Felicie Berger en Sophie ; on voit à plusieurs reprises Jaque Catelain en Octavian, notamment pour les « apparitions » du dernier acte, mais pas du tout Michael Bohnen en Ochs. Le visage d’Huguette Duflos envahit même tout le rideau à la fin du premier acte pour mieux évoquer la souffrance de la Maréchale résolue à faire le sacrifice de son amour pour Octavian, puis à nouveau en contrepoint amer du duo final où les jeunes tourtereaux filent le parfait amour.
On remarque surtout une direction d’acteur très affûtée, qui permet à chaque soliste d’incarner véritablement un personnage, comme si chacune des phrases qu’ils prononcent leur venait spontanément, avec le ton, le geste ou la mimique l’accompagnant de la façon la plus naturelle (ah, la manière dont la Maréchale se plaint d’avoir prétendument « die Migräne »...). La multitude de petits rôles est assurée par les artistes du Chœur de l’Opéra Grand Avignon, les enfants et les trois orphelines venant de la Maîtrise. Diana Axentii est une Marianne Leitmetzerin assurée, Jean-Marc Salzmann un Faninal flagorneur. Le couple Annina-Valzacchi bénéficie de la forte personnalité de ses interprètes : silhouette à la Pauline Carton, Hélène Bernardy frappe par sa truculence, tandis que Krešimir Špicer, plus connu dans un répertoire antérieur, de Monteverdi à Mozart, campe avec humour un paparazzo volubile. Le troisième italien de l’histoire a moins de chance, et Carlos Natale, à l’aigu étroit, déçoit dans l’air qu’il vient chanter au lever de la Maréchale.
Ces représentations auraient dû bénéficier d’un Octavian français : souffrante, Violette Polchi a hélas dû déclarer forfait mais a été remplacée in extremis par l’excellente Hanna Larissa Naujoks, parfaite en double travesti (ce n’est pas si souvent qu’on a vraiment l’impression de voir un homme déguisé en femme quand Mariandel surgit au premier acte, manspreading inclus) ; cette jeune mezzo allemande n’en est pas à son premier Octavian, cela se voit et s’entend. A ses côtés, Tineke Van Ingelgem est une Maréchale au timbre bien moins opulent que ce n’était jadis la règle, ce qui nous vaut, sur la plan scénique, un personnage beaucoup plus juvénile et beaucoup moins guindé, mais parfois un léger déficit de puissance quand l’orchestre est plus bruyant. Hélas, Sheva Tehoval n’a pas les suraigus suspendus de Sophie, ce qui compromet sérieusement la présentation de la rose, et même le trio et le duo de la fin, autrement dit plusieurs des sommets de la partition. Mischa Schelomianski, en revanche, a la voix exacte qu’il faut pour le baron Ochs, jusque dans l’extrême grave, et son interprétation est un modèle de bon goût : les paroles de Lerchenau suffisent, à quoi bon en rajouter dans la goujaterie comme le font certains titulaires ?
Interprétant la réduction conçue par Thomas Dorsch en 2019 pour le théâtre de Luneburg, l’Orchestre National Avignon-Provence donne le meilleur de lui-même et convainc tout à fait, sous la direction experte de Jochem Hochstenbach, directeur musical du théâtre de Trèves, coproducteur de ce spectacle.
Laurent Bury
(1) www.concertclassic.com/article/le-chevalier-la-rose-selon-damiano-michieletto-lopera-national-de-vilnius-eloge-de-la-boule
R. Strauss : Le Chevalier à la rose – Avignon, Opéra, 7 octobre ; denière représentation le 9 octobrere 2022 (14h30) // www.operagrandavignon.fr/le-chevalier-la-rose-rstrauss
Photo © Mickaël & Cédric Studio Delestrade Avignon
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