Journal
Nixon in China à l’Opéra Bastille – Mais où est Pang ? – Compte-rendu
Il aura fallu plus de trois décennies pour que l’Opéra de Paris se décide enfin à monter un opéra de John Adams : non pas une commande passée au compositeur, dont notre première scène nationale aurait eu la primeur (comme le firent l’Opéra de Lyon, coproducteur de The Death of Klinghoffer, ou le Châtelet pour plusieurs titres), mais l’entrée au répertoire du premier opus lyrique d’Adams (créé en 1987 à Houston), et désormais le plus solidement installé au répertoire.
Pour cette nouvelle production, la troisième en France après le spectacle de Peter Sellars venu à Bobigny dès 1991, et la mise en scène de Chen Shi-Zheng vue au Châtelet en 2012, il a été fait appel à Valentina Carrasco, un temps collaboratrice d’Alex Ollé, et qui vole désormais de ses propres ailes à l’opéra. Contrairement à quelques rares tentative plus audacieuses, sa vision ne s’affranchit pas de la référence aux personnages historiques, chacun ayant ici plus ou moins la tête de l’emploi (soucieux d’éviter le reproche de blackface, l’Opéra de Paris a même pris soin d’engager des chanteurs dont l’origine ethnique correspond approximativement à celle des protagonistes, puisque même John Matthew Myers, comme son nom ne l’indique pas, a du sang asiatique dans les veines, la seule exception étant la troisième secrétaire de Mao). Mais tout comme l’admirable livret d’Alice Goodman sait s’affranchir des faits pour offrir une lecture plus métaphorique des événements, Valentina Carrasco sait se détacher du réalisme sellarsien de 1987, grâce à une clef de lecture qui pourra rappeler une autre célèbre chinoiserie opératique du XXe siècle : si Turandot nous fait rencontrer Ping, Pong et Pang, c’est de ping-pong qu’il est ici beaucoup question. La référence n’a rien de plaqué, puisque l’idée de « diplomatie du ping-pong » (ou « ping-pong diplomatique », selon les traductions) fut souvent évoquée dans les années 1970, le tennis de table ayant été l’un des premiers vecteurs de rapprochement entre les Etats-Unis et la Chine.
Il y a donc beaucoup de tables, de raquettes et de balles dans ce spectacle, le chœur étant divisé en deux camps, les bleus à chevelure blonde et les rouges à chevelure noire. Et par-delà la visite du président américain à Pékin en 1972, la mise en scène convoque l’histoire des deux pays à travers des images d’archives allant du Vietnam à Black Lives Matter en passant par la révolution culturelle (une vidéo un peu longuette pour le changement de décor entre le deuxième et le troisième acte). Le trait est parfois appuyé, presque naïf – sous la bibliothèque où Mao reçoit Nixon, on brûle des livres interdits et on passe à tabacs des intellectuels – mais le match de ping-pong entre Kissinger et le Grand Timonier est un moment assez irrésistible.
Dans la fosse, Gustavo Dudamel se montre totalement convaincant et très à son aise, la partition semblant avoir été écrite pour une salle comme Bastille, malgré quelques moments où l’orchestre a tendance à couvrir le plateau. Les chœurs de l’Opéra de Paris, préparés par Ching-Lien Wu, relèvent eux aussi le défi, impressionnants par leur masse vocale et par leur exactitude. Quant aux solistes, c’est une fameuse brochette qui est ici réunie. Le trio des secrétaires de Mao est d’une belle homogénéité (malgré la présence d’une artiste caucasienne, Emanuela Pascu, aux côtés de mesdames Yajie Zhang et Ning Liang), avec un costume rappelant les Parques de l’Hippolyte et Aricie de Jean-Marie Villégier.
Joshua Bloom tire le meilleur parti du rôle sacrifié de Kissinger, tandis que Xiaomeng Zhang est un somptueux Chou En-Lai, personnage auquel il revient de conclure l’opéra sur une superbe méditation. Déjà Madame Mao à New York en 2011, Kathleen Kim est peut-être moins effrayante que certaines de ses consœurs l’ont été dans son grand air (« I am the wife of Mao Tse-tung »), mais après avoir été présente en scène dès le premier acte, elle se fait remarquer par la pureté de ses vocalises au dernier tableau. Grâce au timbre séduisant du ténor John Matthew Myers, on découvre que le rôle de Mao est parfaitement chantable malgré ses exigences.
Duo de stars, enfin, pour le couple présidentiel : Thomas Hampson n’a plus l’aigu très brillant ni le grave très sonore, mais son engagement palpable fait de lui un Nixon de haute volée, tandis que Renée Fleming, dans une institution où elle a connu bien des triomphes, montre qu’elle peut encore nous offrir de fascinantes incarnations grâce au répertoire contemporain.
Laurent Bury
John Adams : Nixon in China – Paris, Opéra Bastille, 25 mars ; prochaines représentations les 29 mars, 1er, 4, 7, 10, 12 & 16 avril 2023 // www.operadeparis.fr/saison-22-23/opera/nixon-in-china
Diffusion le 7 avril sur la plateforme "L'Opéra chez soi"
Photo © Christophe Pele © OnP
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