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Iván Fischer et Semyon Bychkov dirigent au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence 2023 – Blockbusters symphoniques – Compte–rendu
Il y a longtemps que le terme blockbuster (littéralement « qui fait exploser le pâté de maisons ») a quitté le seul milieu cinématographique pour s’appliquer à nombre d’autres événements et produits. Le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, dont on fête les dix ans cette année, n’est pas passé à côté : il vient de « casser la baraque » avec deux concerts monumentaux.
Après un week-end spirituel et chambriste qui a donné à entendre deux messes, la Grande (en ut) de Mozart et la Petite (solennelle) de Rossini, idéalement servies par l’Ensemble vocal de Lausanne, entre autres interprètes, le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence a changé de braquet en début de sa première semaine en recevant les deux énormes machines à musique que sont l’Orchestre du Festival de Budapest et l’Orchestre philharmonique tchèque. Deux soirs d’affilée, il n’y avait plus un seul centimètre carré disponible sur la scène du Grand Théâtre de Provence où plus de cent musiciens étaient réunis.
Iván Fischer & Renaud Capuçon © Caroline Doutre
Presque une battle entre ces deux phalanges de la Mittteleuropa aux personnalités bien marquées : un brin de folie et un côté latin pour les Hongrois, de la rigueur et une grande musicalité pour les Tchèques. Et pour chaque concert le programme idoine : Dohnányi, Bartók et Strauss pour les premiers et Mahler pour les autres. Bien entendu, à la direction musicale, deux maîtres incontestables et incontestés étaient conviés, avec leurs techniques et leur sensibilités respectives : Iván Fischer et Semyon Bychkov.
Après une première partie consacrée à la découverte des méconnues Minutes symphoniques de Dóhnanyi, cinq pièces élégantes de sensibilité slave, et au rare Concerto pour violon n°1 de Bartók servi avec passion et sensualité par Renaud Capuçon, c’est un « spécial » Strauss qui était proposé avec Don Juan, Salomé (Danse des sept voiles) et Till l’Espiègle. Trois univers dont Iván Fischer s’empare pour en tirer le nectar d'une direction certes précise, mais qui permet aussi aux instrumentistes d’exprimer leur musicalité nuancée.
Chaque minute dégage une palette de couleurs, renouvelle les atmosphères, construisant un édifice musical solide. Du grand Strauss et un modèle de direction intelligente d’un ensemble d’une grande fraîcheur, aux bois miraculeux de beauté, entre autres pupitres de qualité. Un concert, que refermaient deux bis originaux et surprenants, moments de musique populaire hongroise, livrés par un quintette et un trio issus de l’orchestre sous l’œil amusé du maestro Fischer.
Semyon Bychkov et l'Orchestre philharmonique tchèque © Caroline Doutre
Le lendemain – les Hongrois partis vers Toulouse où ce même programme était donné – c’est l’armada musicale tchèque qui envahissait le plateau de la salle aixoise. Au programme, un monument de plus d’une heure trente: la Symphonie n° 6 « Tragique » de Gustav Mahler. Une composition souvent présentée comme un face à face de l’homme avec la mort, énorme, dense, tour à tour apaisée et violente à l’instar des coups de marteau qui, dit-on était trois à l’origine et dont l’un fut ôté par Mahler frappé par trois drames après la création de cette symphonie.
A la tête d’un somptueux Orchestre philharmonique tchèque, dont il assure la direction musicale depuis cinq ans, Semyon Bychkov a bouleversé le public du Grand Théâtre avec une lecture certes rigoureuse de la partition, mais surtout chargée d’émotion et d’un puissance à donner le frisson. Depuis son pupitre, le maestro – à propos duquel l’expression main de fer dans un gant de velours n’est pas galvaudée – dirige sans un temps mort un attelage de cent chevaux lancés à pleine allure. Une réelle performance qui restera dans la grande histoire d’un Festival de Pâques qui ne pouvait pas rêver meilleur Mahler pour son dixième anniversaire. Oui, un concert peut aussi se transformer en blockbuster ; démonstration nous a été apportée grâce à des interprètes d’exception.
Michel Egéa
Photo © Caroline Doutre
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