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Maurice Béjart par le Ballet de l’Opéra de Paris – Le charme fragile – Compte-rendu
Un retour à de grandes sources qui laisse un peu asséché que ce programme Béjart par le Ballet de l’Opéra. Béjart le disait volontiers lui-même, il ne chorégraphiait pas pour construire une œuvre, contrairement à un John Neumeier qui s’érige en gardien de son propre temple ou au regretté Pierre Lacotte (1) qui croyait tant à la persistance de l’héritage romantique. Béjart, lui, écoutait le siècle et le traduisait, prêt à prendre les nouveaux tournants, non par opportunisme mais simplement parce qu’il ressentait profondément l’éphémère des choses et de celle dansée tout particulièrement. D’où le léger sentiment de malaise que donne parfois la vision d’œuvres qui marquèrent leur temps, mais semblent comme vidées, sans doute parce que le souffle créateur n’y est plus.
Ainsi pour cet Oiseau de feu, créé par et pour l’Opéra de Paris en 1970, avec un Michael Denard au summum de sa beauté, et que dans le Ballet du XXe siècle ensuite, Jorge Donn allait reprendre avec un potentiel émotionnel incomparable. La pièce, faite dans les retombées de la vague soixante-huitarde, en a les parfums : tenues ouvrières autour de l’oiseau flamboyant porteur de renouveau idéal, soupçon enchanteur de trotskisme, grâce ineffable d’un maoïsme tout proche, on sait que Béjart crut à tout, du bouddhisme à l’Islam soufi, en passant par l’angélisme chrétien de Notre Faust, et sans doute ne crut à rien sinon à une sorte d’être suprême qui s’appelait la danse et le propulsait vers l’infini.
Mais les danseurs d’aujourd’hui n’ont sans doute plus les mêmes idéaux, le consumérisme, la retraite, l’écologie ont sans doute donné un autre tour à leurs aspirations, aussi semblent-ils réciter, avec talent d’ailleurs, cette ode à un monde meilleur. Au centre, pour la première, le grand Mathieu Ganio lui-même, capable d’une grâce touchante – on l’a vu dans l’Hommage à Dupond (2) à l’Opéra, où dans le Chant du Compagnon errant, il était bouleversant – déployait ses ailes sans trop de conviction. La mort de l’oiseau, tournoyant sur lui-même, peut être déchirante, tandis que la musique de Stravinski va et vient sourdement, mais là elle ne semblait que prélude à l’apparition de Florimond Lorieux (photo), Phénix éclatant. Au passage on admirait les beaux entrelacements de bras et de jambes qui firent tant pour la vogue photographique des ballets de Béjart.
Le Chant du compagnon errant, sur la page si sobrement ouvragée par Mahler pour décrire les souffrances de la destinée, délicatement chanté par Sean Michael Plumb, et pas assez soutenu par le chef Patrick Lange, peut émouvoir jusqu’à l’os ou laisser de glace, Béjart n’ayant pas été un mahlérien surdoué. Là, le duo formé par Germain Louvet, très apparenté à Mathieu Ganio pour la fluidité, et Hugo Marchand, impérial, frappait par sa perfection plastique, avec une complicité évidente entre les deux danseurs, mais sans laisser de traces marquantes.
Vint le Boléro, martelé sur toutes les scènes du monde, depuis sa création bruxelloise en 1961, et que des solistes phénoménaux (Donn, Plissetskaïa, Guillem, parmi des dizaines d’autres), ont marqué de leurs personnalités, féminine ou masculine - l’œuvre fut conçue pour la superbe Duska Sifnios en 1961-. Bien plus difficile qu’il n’y paraît, la séquence a causé d’innombrables crampes à leurs mollets, à force de frapper sans arrêt la fameuse table où l’esprit animal de la danse ondule, avant d’éclater en myriade de désirs fous. Tout est toujours à faire dans cette œuvre qui ne ressemble à aucune autre et n’a pris aucune ride. Ici c’était l’harmonieuse silhouette d’Amandine Albisson qui battait la mesure et découpait l’espace : belle, à coup sûr, sinueuse avec un peu trop d’élégance et d’académisme, elle a séduit, mais sans convaincre tandis que le bataillon de garçons qui l’entourait était d’une parfaite tenue. Bref, ce Boléro récitait le Boléro.
Pièces impérissables, chez Béjart ? L’Opéra en possède une : son Sacre du printemps, à coup sûr la plus saisissante version dansée, depuis le choc de Nijinski et parmi une foule d’autres : chef-d’œuvre gestuel sur un chef-d’œuvre sonore. Et qui a su garder sa dynamique implacable, tandis que d’autres pièces historiques qui firent courir les foules avignonnaises, ont un peu perdu de leur force et de leur potentiel émotionnel comme Roméo et Juliette et Bhakti. Un jour, peut-être, le phénix béjartien renaîtra-t-il de ses cendres, grâce à ceux qui croient encore en lui, notamment avec le beau Béjart Ballet de Lausanne, que Gil Roman continue d’animer et que l’on verra en janvier 2024 au Palais Garnier. Peut-être aussi la multiplicité des distributions qui se partagent ce spectacle permettra-t-elle d’avoir des révélations, avec le tout jeune Guillaume Diop dans Le Chant du Compagnon errant, et de retrouver avec un bonheur navré la forte présence d’Alice Renavand, désormais jeune retraitée, mais étoile invitée pour le Boléro.
Jacqueline Thuilleux
(1) www.concertclassic.com/article/disparition-de-pierre-lacotte-1932-2023-le-recreateur-de-la-sylphide-sest-envole
(2) www.concertclassic.com/article/hommage-patrick-dupond-au-palais-garnier-soleil-noir-compte-rendu
Maurice Béjart - Paris, Opéra Bastille, 21 avril ; prochaines représentations les 25, 28, 30 avril, 3, 4, 6, 9, 10, 12, 13, 16, 18, 19, 21, 24, 25, 27 & 28 mai 2023 // www.operadeparis.fr/saison-22-23/ballet/maurice-bejart
Photo ( L'Oiseau de feu ) © Julien Benhamou - OnP
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