Il se connaissent, s’apprécient, sont encore jeunes et ovationnés partout où ils se produisent : il ne leur restait plus qu’à être réunis en concert au Théâtre des Champs-Elysées par les Grandes Voix ; voilà qui est fait.
Si le duo de L’Elisir d’amore de Donizetti « Caro elisir sei mio » n’est qu’une sympathique sucrerie destinée à chauffer les instruments de nos deux artistes qui rivalisent de mièvrerie et de minauderies, la première partie met du temps à démarrer. Il faut dire que le chef Marco Armiliato n’obtient absolument rien des jeunes instrumentistes de l’Accademia Teatro alla Scala (1) qui jouent affreusement mal et donnent envie de les renvoyer à leurs chères études au lieu de parader sur un aussi grand plateau. L’ouverture de La Forza del destino, comme celle de Romeo et Juliette, n’ont jamais sonné aussi mal, chacun donnant le sentiment de déchiffrer à vue d’où les fréquents décalages et l’absence totale de cohésion d’ensemble… Benjamin Bernheim (photo) n’a sans doute pas encore la carrure pour endosser l’intégralité du rôle de Cavaradossi à la scène mais son premier air chanté avec pureté et phrasé archet à la corde est de bon augure pour ce musicien sensible et hautement distingué.
 

Avec l’air des Masnadieri de Verdi « Tu del mio Carlo al seno », Lisette Oropesa qui l’a déjà abordé au théâtre se taille un beau succès, sa voix solide et ondulante franchissant sans peine les petites difficultés glissées par un jeune Verdi redevable de l’héritage belcantiste de ses prédécesseurs, tout en cherchant à s’en détacher pour imposer sa propre grammaire. Le duo de Rigoletto permet au ténor et à la soprano de réaliser un sans faute, grâce à la beauté de leurs émissions, la franchise de leurs attaques et à l’ardeur communicative de leurs accents passionnés.

Après ces pages puisées dans le répertoire italien, le duo revenait pour interpréter plusieurs compositions françaises. Idéal en Roméo (de Gounod), Benjamin Bernheim a tout d’abord brillé dans l’air « Ange adorable » divinement tenu et déclamé, avant de triompher dans celui des Pêcheurs de perles « Je crois entendre encore », modèle de chant sur le souffle, de voix mixte et de pianissimi interminables. Ecourté, l’air des Bijoux (Faust) a paru assez terne, mais porté par le timbre soyeux de la cantatrice, qui s’est fort heureusement rattrapée avec « Robert toi que j’aime » issu du Robert le Diable de Meyerbeer, fièrement exécuté avec l’aplomb et la technique que nous lui connaissons depuis l’acrobatique Marguerite de Navarre des Huguenots, campée à Paris en 2018.

La conclusion de ce concert ne pouvait se faire sans la Manon de Massenet, opéra qu’ils ont déjà défendu mais pas encore ensemble. Lui l’amant abandonné prêt à tout pour oublier sa volage maîtresse, même à être ordonné prêtre, elle coquette invétérée sachant user de ses charmes pour embraser ce pauvre Des Grieux. Comment résister à ces deux timbres voluptueux et sensuels érotiquement entremêlés ? Le public conquis n’avait d’yeux et d’oreilles que pour ce couple décidément parfaitement apparié et complice, qui proposait en bis une page rebattue mais savoureuse, chantée avec grâce et éclat « O soave fanciulla » extrait de La Bohème.
 
François Lesueur