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Guillaume Tell à l’Opéra Royal de Wallonie / Liège – Faire de la prose sans le savoir – Compte rendu

Jean-Louis Grinda professe une immense admiration pour l’ultime chef-d’oeuvre scénique de Rossini. Hélas, cette affection sincère n’a apparemment pas suffi à lui inspirer un spectacle mémorable, même si cette « nouvelle production de l’Opéra royal de Wallonie - Liège » est une resucée à peine modifiée de sa mise en scène présentée à Monte-Carlo en 2015 et reprise à Orange en 2019 : les décors et les costumes sont à peu près les mêmes que sur le Rocher, ce qui n’est pas condamnable en soi. Cette grange en bois aux panneaux coulissants qui s’ouvrent sur des projections évoquant les lieux de l’action, ces paysans suisses « intemporels », voilà qui n’a rien de choquant (même si, sur le plan vestimentaire, d’autres détails font un peu tiquer, on y reviendra).

Ce qui gêne, c’est la cruelle absence de théâtre sur un plateau où il ne se passe vraiment pas grand-chose ; et quand il se passe quelque chose, il aurait peut-être encore mieux valu rien. Guillaume Tell en bœuf tirant sa charrue pendant le premier chœur, vraiment ? Image à laquelle répond en toute fin de soirée la petite fille qui sème dans le sillon ainsi creusé, la boucle est bouclée. Des enfants qui interviennent à plusieurs reprises, notamment pour danser, c’est si mignon. Mais la soldatesque qui apparaît au premier acte, déguisée en gendarmes à képi, n’inspire aucune sensation de danger, et Gessler en pardessus de cuir (pas nazi, non, non) est inexistant, faute d’une direction d’acteurs qui aiderait les chanteurs à transmettre les émotions qu’ils sont censés communiquer. Les exactions du tyran et de ses sbires en costume fuchsia se bornent ici à organiser une sorte de marathon de danse, où les pauvres Helvètes doivent tourner en rond jusqu’à épuisement. Bref, l’ennui fait mieux que guetter, il s’installe confortablement, et malgré des coupures, la soirée paraît longue.

Malgré aussi la précipitation avec laquelle dirige Stefano Montanari, qui rappelle ses choix dans Les Brigands à Garnier en début de saison : le chef dirige vite, très vite (trop vite pour que certains des solistes arrivent à articuler leur texte, parfois), et il dirige fort, très fort, avec des cuivres tonitruants, et une lourdeur qui prive les passages lents de l’ouverture de toute poésie. La partition perd tout côté épique, idyllique ou poétique, ainsi réduite à des gros effets.
Malgré aussi une distribution qui, sur le papier, semblait tout à fait prometteuse. On était curieux d’entendre Salome Jicia en Mathilde, mais cette grande rossinienne paraît en fait mal à l’aise dans un rôle qui sollicite beaucoup moins la virtuosité que les emplois qui ont fait sa gloire : manquent ici le sens de la ligne et l’ampleur qui ont valu des succès à des interprètes bien moins belcantistes.

Arnold n’a plus de secret pour John Osborn, et le ténor américain reste maître de ce répertoire, mais il est dommage que son entrée le transforme en « ami Fritz », avec son tricorne, son gilet aussi alsacien qui suisse, et la cravate blanche qui l’engonce. Plus taureau que bœuf de charrue, le Tell de Nicola Alaimo a le sang chaud, presque brutal dans la première partie du spectacle, mais sait fait preuve de la retenue nécessaire pour un « Sois immobile » très applaudi. Avec une élocution un peu plus claire qu’en Arkel il y a quelques mois, Inho Jeong ne parvient hélas pas à faire réellement exister Gessler. Elena Galitskaya campe un Jemmy percutant, mais Emanuela Pascu peine parfois à se faire comprendre. Si Nico Darmanin en pêcheur est toujours aussi nasal dans le forte, Krešimir Spicer s’approprie fort bien Rodolphe (même s’il est étonnant de la faire tuer Melchtal sous les yeux de toute la population).
Les clés de fa remplissent leur contrat, de Patrick Bolleire à Ugo Rabec en passant par Tomislav Lavoie. Et le chœur de l’ORW (préparé par Denis Segond), en grande formation, livre une prestation remarquée, alors que pour lui aussi, une mise en scène plus présente n’aurait pas été vaine, pour que les représentants des cantons d’Unterwald, de Schwitz et d’Uri ressemblent davantage à des patriotes qu’à une bande de copains venus s’amuser ensemble.
Laurent Bury

Rossini : Guillaume Tell – Liège, Opéra royal de Wallonie – Liège 12 mars ; prochaines représentations les 14, 16, 18 & 20 mars 2025 // www.operaliege.be/evenement/guillaume-tell-2025/#distribution
Photo © ORW-Liège / J. Berger
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