Journal
Samson de Rameau à l’Opéra-Comique – Visite de chantier – Compte-rendu

Désormais, le palais à volonté des auteurs classiques se décline plutôt en ruines. Ce décor unique où tout peut se passer – aussi utile pour le respect des trois unités que pour celui des contraintes budgétaires – devient souvent, dans les productions d’opéra, un lieu désaffecté, de préférence un théâtre en temps de guerre, où l’on tentera malgré tout de jouer un spectacle. Pour Samson, c’est cette fois dans ce qui ressemble à un chantier, que visitent ouvriers et architecte dûment casqués, et qui est en fait un immeuble en partie détruit par un attentat que se déroule toute l’histoire, revécue par la mère du terroriste.
Tic de Guth
Il a été assez reproché aux metteurs en scène de réécrire les livrets à leur sauce pour ne pas saluer le progrès que constitue l’écriture d’un livret ex nihilo. Enfin, pas tout à fait nihil : pour ce Samson qui n’est pas vraiment de Rameau et pas du tout de Voltaire, n’a été gardé que le titre, et les informations contenues dans la Bible, à partir desquels la dramaturge Yvonne Gebauer a concocté pour Claus Guth un nouveau livret permettant à Raphaël Pichon d’élaborer un pasticcio à base d’extraits d’opéras de Rameau, incluant même ces fragments qu’on pense avoir initialement été destinés au Samson qui ne fut jamais représenté. L’inclusion de textes parlés, interprétés par Andrea Ferréol, ne sert qu’à justifier le propos rétrospectif, mais n’apporte à peu près rien, sinon à ennuyer le spectateur et à gêner l’auditeur qui préférerait que la musique de Rameau ne soit pas couverte par tout ce verbiage.

Et l’on retrouve ce qui constitue un des tics de Claus Guth depuis plusieurs années, l’inclusion de bruits parasites, comme si la partition ne pouvait suffire. Pour le reste, le metteur en scène raconte avec une belle efficacité une vie de Samson revue et corrigée par notre modernité, le héros biblique étant ici victime de troubles neuropsychologiques qui le rendent violent. Le mariage de Samson permet l’équivalent du divertissement dans la tragédie lyrique, mais l’on s’interroge tout de même sur la pratique consistant à mettre bout à bout des morceaux qui n’ont pas été conçus pour se succéder ainsi ; de fait, la partie qui se révèle théâtralement la plus forte est sans doute l’affrontement avec Dalila, puisqu’il respecte l’alternance récitatifs/airs qui caractérise la musique scénique de cette époque, même si Voltaire prétendait pour Samson limiter le dialogue et bannir les ballets.

Jarrett Ott (Samson), Julie Roset (Timna) © S. Brion
Un Rameau somptueux de force dramatique
Heureusement, ce pasticcio est superbement défendu par le chœur et l’orchestre Pygmalion, Raphaël Pichon dirigeant un Rameau somptueux de force dramatique, dans le cadre idéal qu’est l’Opéra-Comique. Quant à la distribution, elle est presque intégralement renouvelée par rapport à la création aixoise du spectacle l’été dernier. On retrouve néanmoins Laurence Kilsby, presque sous-employé mais désormais indispensable lorsqu’on programme Rameau à Paris, après sa participation à Castor et Pollux. Et le rôle-titre a toujours les traits de Jarrett Ott : le baryton américain a la prestance et la présence de Samson, mais recourt un peu trop à une sorte de voix mixte dans l’aigu, s’exprimant dans un français très correct, mais d’où peuvent encore être éliminées quelques scories, voyelles plus ouvertes ou plus nasales qu’il ne faudrait.

À leurs côtés, Julie Roset, Ange à Aix, se retrouve propulsée au rôle plus étoffé de Timna, l’épouse du héros, qui lui vaut un triomphe lors des saluts. La remplace Camille Chopin, que l’Opéra-Comique s’obstine à faire chanter la musique du XVIIIe siècle alors que c’est dans celle du XIXe qu’elle brille de tous ses feux (et pourquoi diable avoir confié « Clair flambeau du monde » à une voix de soprano ?). Parmi les nouveaux venus, on remarque aussi Mirco Palazzi en méchant Philistin dont la diction se perd un peu dans l’extrême grave. Et surtout, on ne saurait trop saluer la prestation d’Ana Maria Labin, actrice stupéfiante et surtout grand soprano mozartien, qui offre à la musique de Rameau bien davantage que les voix fluettes trop souvent programmées dans ce répertoire, avec un « Tristes apprêts » non pas miaulé mais chanté et déclamé d’une voix capable de sculpter le son et le texte comme ils devraient toujours l’être.
Laurent Bury

> Les prochains concerts "Rameau" <
Samson, « libre création de Claus Guth et Raphaël Pichon d’après Samson, projet d’opéra de Jean-Philippe Rameau, sur un livret censuré de Voltaire » – Paris, Opéra-Comique, 17 mars ; prochaines représentations les 19, 21 & 23 mars 2025 // www.opera-comique.com/fr/spectacles/samson
Photo : Jarrett Ott (Samson), Laurence Kilsby (Elon), chœur Pygmalion © S. Brion
Derniers articles
-
18 Mars 2025François LESUEUR
-
18 Mars 2025Alain COCHARD
-
17 Mars 2025Vincent BOREL