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Alceste au Palais Garnier - Fosse d'Enfer - Compte-rendu
Lorsque nous demandons à un appariteur pourquoi il retire durant l’entracte les pupitres de la fosse, celui-ci nous répond « Vous voulez que je vous explique la mise en scène ? ». C’est donc cela, les enfers, enfin le risque des enfers du Troisième acte, ce sera la fosse. On revient en se disant que pourquoi pas. Le rideau se lève, évidemment comme les miracles n’existent pas l’orchestre est sur scène, Alceste dans son lit d’hôpital à l’extrême bord du proscenium, l’action qui avec l’arrivée d’Hercule, fatalement transformée en pseudo-Mandrake, pourrait gagner en effets, s’en trouve toute rabougrie par le manque d’espace, et dans une fosse vide où paresse une fumée pâlotte – et vite disparue – les furies infernales, masque de mort sur la nuque, paraissent dans leurs impeccables costumes de ville. Comme le proclame une des innombrables sentences écrites à la craie sur les ardoises omniprésentes : « la mort n’existe pas ».
Et c’est bien l’écueil premier contre lequel vient se briser la régie plus habile qu’inspirée d’Olivier Py. Rachetée par la vie éternelle d’un christianisme assumé – la croix domine, souvent crayonnée par les dessinateurs au nombres desquels Pierre-André Weitz lui même – cette Alceste trop certain de son dénouement heureux sera donc la parabole chrétienne de l’amour conjugal que voulaient y voir bien entendu Gluck, Calazbigi et Du Roullet. Pas de contresens donc, mais un affadissement, car si la mort n’existe pas alors pourquoi même la fable d’Alceste ?
Au I et au II, Py se tire comme il peut de l’absence d’action dramatique, anime avec virtuosité les chœurs dont, contrairement à tant de metteurs en scène, il n’a jamais eu peur, incarne les deux fils d’Alceste (splendides Marc Behra et Gaël Alamargot, tantôt joueurs, tantôt affligés), occupe l’espace avec cinq dessinateurs effaceurs qui suggéreront tour à tour le Palais Garnier pour le Palais d’Admète (mise en abyme souvent proposée depuis le Capriccio de Carsen en passant par Le Château de Barbe-Bleue de La Fura dels Baus), l’oscillographe de son tracé vital lorsque la mort manque de le saisir, un sanctuaire chrétien, des rêves de ports inspirés du Lorrain et d’autres citations picturales.
Cette suractivité distrait le spectateur d’une direction d’acteur dont la subtilité aurait suffi, déjà encadrée par les escaliers et les praticables de Pierre-André Weitz et renforcée par un noir et blanc omniprésent. On aura rarement vu un Grand Prêtre d’Apollon aussi tonnant et pourtant touchant que celui de Jean-François Lapointe, modèle de chant romantique plié au style gluckiste, et un Admète aussi subtil, aussi élégant, aussi naturel que Yann Beuron dont le chant noble, les longues phrases pleines de mots clairs et de lignes fluides attestent qu’un certain idéal du chant selon Gluck est demeuré à Paris à travers les âges. Tous sont à féliciter : les quatre Coryphées avec des mentions particulières pour Marie-Adeline Henry, si sonore dans les ensembles, si touchante dans son ariette, et Stanislas de Barbeyrac, dont le ténor se moire déjà, prend de la profondeur, sans oublier Florian Sempey, Apollon sonore. Un mot de François Lis fait son Oracle transcendant, et Frank Ferrari, presque exotique de style vocal dans une pareille troupe, campe avec un brio débonnaire un assez formidable Hercule, ayant troqué la masse contre la colombe.
Et Alceste ? Elle échappe à Sophie Koch, gênée par la tessiture, à la ligne souvent brisée, aux mots effacés. Elle se ressaisit pour « Divinités du Styx » dont les extrêmes l’éprouvent pourtant, et au début du III soudain, les mots jaillissent, éperdus et touchants pour un « Grands Dieux ! » dont on admire l’art plus que la justesse. La comédienne supplante la chanteuse, le pari était beau mais il n’est pas tenu.
Sur cette Alceste imparfaite rayonne le soleil noir des Musiciens du Louvre, chœurs et orchestre confondus dans un geste si éloquent, dans une constante invention poétique qui nous font Gluck décidément si proche, et ses héros si familiers. Personne depuis John Eliot Gardiner, n’a su trouver si naturellement la syntaxe du Chevalier, mais là où l’Anglais animait un marbre, c’est le sang et la chair que Marc Minkowski expose. Admirable, au point que cela suffit pour faire de cette Alceste, malgré ses pailles, plus qu’un spectacle, une vérité.
Jean-Charles Hoffelé
Gluck : Alceste - Paris, Palais Garnier, 15 septembre ; prochaines représentations les 19, 22, 25, 28 septembre, 2, 4, 7 octobre 2013
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Photo : Opéra national de Paris/ Agathe Poupeney
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