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Exposition Noureev au CNCS de Moulins - Un opéra baroque
Honneur au tsar de la danse pour les vingt ans de sa disparition : c’est sur la trajectoire vertigineuse et les trésors amassés par Rudolf Noureev que le CNCS fait évoluer son rôle de gardien des costumes de la scène française. On avait pu constater à plusieurs reprises avec quelle formidable énergie et quelle passion éclairée Martine Kahane et aujourd’hui Delphine Pinasa ont su attirer jusqu’à ce lieu fort beau mais à l’écart des itinéraires courants, un nombre important de visiteurs et d’amateurs (de théâtre surtout) grâce à des expositions temporaires, plus belles les unes que les autres. Cette fois, voici un lieu d’exposition permanent, magnifiquement scénographié par Ezio Frigerio, lequel à 83 ans, a gardé son sens amoureux du decorum, et ouvert sur la volonté expresse de la Fondation Noureev : celle-ci a fait don au CNCS d’un fond important à condition de le voir présenté au public pour garder vivante la mémoire de cet incomparable personnage.
De pourpoints précieux, (présentés en roulement), portés dans les grands ballets classiques que Noureev affectionnait, bien qu’il déclarât « je suis un danseur romantique mais j’aimerais essayer tout ce qui existe », en objets familiers choisis pour leur exotisme, on retrouve ce Sardanapale de la scène, dont l’appartement quai Voltaire, où il vécut beaucoup, ressemblait à une caverne d’Ali Baba. On admire notamment une imposante collection d’estampes et de gravures glanées de la Renaissance au XIXe siècle, de somptueux vêtements orientaux, châles et kimonos dont il se paraît chez lui, - on le voit notamment trônant sur un sofa, sous les opulentes toiles à forte teneur homosexuelle dont il recouvrait ses murs- : un appartement dont une partie est fidèlement reconstituée dans sa débauche de couleurs et de matières: saveur, couleurs, sensualité.
Parallèlement, un film, réalisé en 1991 par Patricia Foy retrace les temps forts de sa vie inimitable, errante malgré les nombreuses demeures acquises un peu partout : car cette vie ne fut que galop, du train qui le vit naître en 1938 à sa fuite en 1961, des sauts qui l’enlevèrent jusqu’aux cintres dans ses grands rôles, sauvage et princier, à sa frénésie d’achats, toujours plus fastueux, toujours plus fous. Epinette précieuse, meubles en bois blond de Karélie, énorme collection de kilims, à peine déballés. Mais rien n’est plus touchant, une fois passée l’admiration devant ses prouesses et l’étonnement que suscite ce besoin d’accumuler, par peur du vide sans doute, que de le voir plongeant nu dans la Méditerranée, loin de toute foule, tandis qu’on entend ces paroles : « je n’ai ma place nulle part ». Le miséreux devenu prince en fuyant les siens, l’angoissé qui aima tant Bach, porta toute sa vie le poids de sa solitude et de sa sublime anormalité. Cet espace qui lui est dédié s’enfle de toutes ces résonances, comme une boîte magique.
Jacqueline Thuilleux
Centre national du costume de scène et de la scénographie, Collection Noureev.
www.cncs.fr / Rens. : 04 70 20 76 20
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Photo : Pourpoint pour le rôle de Basilio dans Don Quichotte, 1979. Costume Nicholas Georgiadis. © CNCS / Photo Pascal François
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