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Un Beethoven solaire, Evgueni Kissin et les cinq concertos
Evgueni Kissin interprète des cinq concertos de Beethoven en deux concerts : le rendez-vous était l'un des plus importants de cet automne à Paris et une foule nombreuse s'est rendue au Théâtre des Champs-Elysées pour entendre le pianiste le plus fascinant de sa génération.
Accompagné par L'Orchestre National de France dirigé par Kurt Masur, le soliste ne bénéficiait sans doute pas d'un cadre idéal à l'épanouissement de son art. Ceux qui l'ont entendu la saison dernière à Strasbourg dans les Concertos n°1 et 4 merveilleusement conduits par Jan Latham-Koenig auront plus facilement perçu le hiatus entre un soliste qui n'est jamais meilleur qu'avec un chef sachant anticiper ses intentions et la direction très droite, très "kapellmeister" de Masur à la tête d'un orchestre que l'on aimerait plus fourmillant de timbres.
Cela étant dit, à quelle extraordinaire intégrale des concertos nous a convié Kissin ! Interprété dans l'ordre chronologique des opus, le Concerto n°2 ouvrait le cycle. D'emblée, par la fantastique concentration d'énergie dont sa sonorité de bronze est porteuse, l'interprète tourne résolument l'ouvrage vers l'avenir. C'est bien là la musique d'un jeune génie parti à la conquête de Vienne (le finale !) et si, pour reprendre la formule de Charles Rosen, la musique de Beethoven "déborde de souvenirs", c'est d'abord sur les "prédictions" dont elle est par ailleurs porteuse que Kissin met l'accent. Sous ses doigts, le chant du vaste Adagio atteste ô combien l'émergence d'une sensibilité nouvelle. Le bonheur ne sera pas moindre dans le Concerto n°1, remarquable d'autorité et de jubilatoire ardeur !
La fougue avec laquelle le soliste s'empare de Beethoven ne le conduit toutefois jamais à la licence stylistique et son Concerto n°3 atteste la perception très juste d'une inspiration à cheval sur le classicisme finissant et une densité d'expression annonciatrice du romantisme à venir. Sans aucune surcharge, le somptueux Largo de l'Opus 37 atteint pleinement sa cible.
On a connu des Concerto n°4 plus transparents, plus immatériels ? Certes, mais l'interprétation solaire - un qualificatif qui vaut pour toute cette intégrale Beethoven - et virile de l'artiste russes n'en dégage pas moins une singulière beauté. En attaquant "L'Empereur" dans un tempo très raisonnable, Kissin à tout loisir de sculpter sa sonorité (malgré un piano de médiocre qualité) et l'on ne peut qu'être fasciné par sa capacité de passer en un clin d'œil des accents les plus "terrestres" à des moments de poésie étoilée. Tout Beethoven tient en cette dualité - et très rares sont les interprètes qui en manifestent une compréhension aussi intime et personnelle…
Alain Cochard
Théâtre des Champs-Elysées, Les 28 et 30 octobre
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