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Bruxelles - Compte-rendu - La Monnaie propose une nouvelle mise en scène de la Flûte enchantée
On pourra aimer le désordre nostalgique des toiles au fusain imaginé par William Kentridge pour cette nouvelle Zauberflöte de la Monnaie. Ses costumes dix-neuvième nous transportent dans un univers inédit, celui des explorateurs de Jules Verne, le royaume de Sarastro est peuplé de franc maçons tranquilles, sans cérémonial aucun, Tamino fait son entrée chapeauté à la coloniale, le serpent est joliment figuré par un bras et une main refermée, une lanterne magique laissée aux bons soins des trois dames illustre l’action.
Tout cela filerait à merveille si dans la fosse René Jacobs, cédant à ses travers habituels dés qu’il aborde aux rivages mozartiens, ne décortiquait le texte, le distordant jusqu’au malaise en l’agrémentant de fioritures qui fusillent les lignes de chants et éparpillent l’orchestre. Trop souvent le tempo se précipite en une deux temps peu scrupuleux à l’égard de la ligne mélodique, et parfois l’outrage est irrémédiable (misérable Ach ich fuhl’s, inexcusable lorsque l’on a en plus Sophie Karthäuser pour Pamina). Fidèle à ses tics, il va même jusqu’à fragmenter les petits ensembles à l’intérieur même d’une scène dont la continuité dramatique exige le filage et non ces ponctuations qui introduisent des arrêts aussi déconcertants que mécaniques. Les dialogues intègrent par contre plus aisément les fantaisies du pianoforte, libre d’utiliser des espaces ouverts alors que dans les Nozze ou Cosi, il polluait les récitatifs.
Dommage, d’autant qu’un vaillant trio aurait pu nous faire cette Zauberflöte gagnante : on n’espérait pas une telle longueur de voix, un timbre si profond, comme miellé, du Tamino de Topi Lehtipuu, et l’on se doute que sa silhouette élancée nous fait un vrai prince d’amour. Sans surcharger, Stephan Loges dessine un Papageno subtil, et la voix chaude, avec ce grain de baryton noble qu’il avait si splendidement employé dans son Wolfram, rappelle l’époque glorieuse des incarnations d’Hermann Prey. Sophie Karthäuser est la Pamina du moment, plus personne n’en doute.
Mais malgré une Papagena habile comédienne et chanteuse enjouée (Céline Scheen, assez irrésistible dans sa grande robe blanche de bossue, Jacobs lui fait malicieusement chanter un récitatif piqué dans le fameux lied Die Alte), des Dames de bon goût, emmenées par la percutante Salomé Haller, et des enfants un peu trop pulpeux de timbre, la Reine de la Nuit superbe physiquement mais simplement décorative d’Ana Camelia Stefanescu, le Monostatos habile mais aphone de Jeffrey Thompson, le Sarastro court de timbres de Harry Peters décevaient avec application.
Jean-Charles Hoffelé
Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, Bruxelles, Théâtre de la Monnaie le 1er mai 2005, puis les 3, 4, 6, 8, 10 et 12 mai.
Photo: Johan Jacobs
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