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Paris - Compte-rendu : Laissez jouer le quatuor !
Samedi 21 janvier, 17 h. Le public se presse au Théâtre de la Ville et c’est devant une salle pleine à craquer que le Quatuor Takacs et l’ensemble folklorique hongrois Muzsikas (en compagnie de la merveilleuse voix de Marta Sebestyen) se lance dans une passionnante confrontation d’œuvres de Bartok avec les mélodies populaires qui les ont inspirées. Excellente initiative conduite au plus haut niveau musical de part et d’autre ! Si toutes les histoires de la Musique insistent à juste titre sur l’apport du folklore au langage de Bartok, il n’est pas tous les jours donné de s’en rendre compte de manière aussi concrète.
Le concert commence le mieux du monde. Vient le Quatuor n°4, dont chaque mouvement est relié à sa source populaire de façon très habile. Et là, soudain, au quatrième rang, sous une chevelure blanche d’un âge plus que respectable (on le constatera par la suite), fuse un tonitruant « Laissez jouer le quatuor ! ». La chose se reproduit deux fois, la seconde suivie d’un mouvement réprobateur de l’assistance en direction du trouble-fête, puis d’une chaleureuse salve d’applaudissements pour les musiciens, en rien déstabilisés par l’ «incident». Voûté sur sa canne, le vieux monsieur quitta le théâtre à l’entracte. Il n’avait visiblement pas été bien informé sur la nature du concert…
Avant de se lever de son siège, il a eu droit aux « vous n’avez rien compris ! » courroucés de nombre d’auditeurs. Certes il n’avait pas compris le principe du concert, mais – commencerais-je par remarquer - il a en tous cas eu le courage de dire tout haut ce qu’il ressentait dans une de ces salles parisiennes où le public ne sait en général plus rien faire d’autre que se taire, tousser, (allopathiques ou homéopathiques, les solutions ne manquent pourtant pas – le savoir vivre lui si !), faire entendre sa dernière sonnerie de mobile (sur ce point, quel manque d’imagination le plus souvent pour des mélomanes »…) et applaudir de façon indifférenciée au beau comme au médiocre.
Qu’on aimerait des réactions aussi sonores que celle de notre vieux monsieur, face à des exécutions négligées, approximatives ou au terme de certaines « créations » de robinets à commandes que le succès a bloqués en position « tiède »... Notre vieux monsieur s’est fait le porte parole des pesanteurs, des conceptions figées dont souffre la musique dite « classique », ce dont les organisateurs et les musiciens sont fréquemment aussi les premiers fautifs. Nous sommes au début du XXIe siècle... Les choses évoluent certes, mais combien de pianistes, pour prendre un domaine qui nous est cher, ne vivent pratiquement que sur le répertoire des XVIIIe et XIXe siècles (et ne songent qu’à Debussy, Ravel ou Prokofiev pour s’autoriser une « folie ») ?
Et pourtant le public est prêt à suivre les audacieux, les inventifs et apprécie un peu d’air frais dans l’univers confiné du classique. Le concert des Takacs et de Muzsikas l’a prouvé, tout comme, quelques jours auparavant à l’UNESCO (dans la série Nouveaux Virtuoses), le superbe récital du jeune Francesco Tristano Schlimé – un énorme succès public ! Visage d’ange, démarche princière : lorsqu’il entre en scène, le pianiste luxembourgeois (vainqueur du dernier Concours Piano XXe siècle d’Orléans) semble atterrir d’une autre planète. Il est pourtant bien de celle-ci et de son temps ! Un programme Frescobaldi-Bach-Haydn-Francesconi-Schlimé : voilà qui change des Mozart-Beethoven-Chopin-Rachmaninov de beaucoup de confrères ! Un récital atypique, original, mais d’une cohérence parfaite. Ce qui fait la différence avec des concerts où la curiosité ne conduit qu’à d’indigestes fourre-tout rangés sous des thématiques cache-misère du manque d’imagination.
Schlimé laisse la queue-de-pie - vestige d’un temps où le musicien ne valait pas plus qu’un laquais, on l’oublie trop souvent… - au vestiaire, pas l’élégance ! Il n’hésite pas non plus prendre la parole en cours de récital pour expliquer sa démarche, ses choix – assumés avec une intelligence et une technique singulières. Compositeur et improvisateur, il improvise justement un bel et étrange portique à la Sonate n°48 en ut majeur de Haydn. Et tout le monde « laisse jouer le pianiste » - le charme, la poésie, la noblesse, le charisme (jamais l’esbroufe) opèrent… L’avenir, un monde en quête de magie, de ré-enchantement, de danger aussi (ce qui en l’occurrence s’appelait jouer Frescobaldi ou Bach sur piano moderne sans une once de pédale) ont un besoin urgent d’artistes de cette trempe, qui mêlent talent (car nous avons ici affaire une l’une des plus passionnantes révélations du piano européen de ces dernières années) et audace, sans démagogie, en tenant compte des réalités d’aujourd’hui, des envies de nouveaux auditeurs qui, c’est la vie, remplaceront peu à peu (si tout se passe bien, mais rien n’est gagné…) les nombreuses têtes blanches ou dégarnies de nos salles.
Tenir compte des envies et des modes d’écoute de jeunes auditeurs qu’il serait en général vain de plonger d’emblée dans la Sonate D. 960 de Schubert, mais qui apprécieront un jour cette œuvre parce qu’un interprète tel que Schlimé aura su, avec tact, les mettre en contact avec des langages musicaux qui ne sont pas ceux en vogue sur NRJ… La jeunesse et la réaction du public rassemblé à l’UNESCO a en tout cas démontré à ceux que le pessimisme gagne parfois qu’il ne faut pas baisser les bras !
Sachons gré, enfin, à Francesco Tristano Schlimé (hormis dans l’œuvre de Francesconi mais là, il est tout pardonné) de nous épargner l’exécution avec partition, tellement à la mode depuis un petit moment chez pas mal de jeunes pianistes. Pour la Sonate de Reubke, Mana de Jolivet ou un ouvrage contemporain on l’admet volontiers, mais pour les valses de Chopin ou un concerto de Mozart, franchement…
Ce « à la manière de Richter » quant on a vingt ou trente ans présente un attristant côté « vieux jeune » !
Alain Cochard
Théâtre de la Ville, le 21 janvier.
Grand Auditorium de l’UNESCO, le 18 janvier.
Photo : DR
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