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Strasbourg - Compte-rendu : Un Fidelio kafkaïen


La question que l’on est en droit de se poser à propos de Fidelio tient en quelques mots. Doit-on montrer une situation carcérale naturaliste ? Après les camps de concentration nazi ou, plus récemment, Guantanamo, y a-t-il une autre possibilité, tout aussi frappante ? Andreas Baesler et Andreas Wilkens nous le démontrent avec justesse de ton et à-propos en situant Fidelio à l’Est, sous le règne de la Stasi. Méfiance ; délation omniprésente : nul n’échappe à cette loi, pas même Jaquino prêt à dénoncer Rocco et Fidelio pour satisfaire ses vues sur Marzeline.

Le 1er Acte se déroule dans une salle immense aux parois truffées de tiroirs symbolisant un Etat totalitaire zélé et stupide. La fosse dans laquelle Florestan est incarcéré se trouve à l’aplomb de cette salle, ce qui souligne encore plus son cauchemar. L’apothéose finale, comme toujours chez Baesler, se déroule dans le décor du 1er Acte complètement disloqué, synonyme ici de chute du despotisme et de liberté retrouvée.

Dans cette conception, Marc Albrecht nous donne à entendre un Beethoven sanguin, d’un fort impact dramatique, alternant douceur et puissance, avec une assise sur les cordes graves, épine dorsale de sa direction. Le soutien aux chanteurs est indéfectible, et jamais ceux-ci ne se trouvent mis en péril. Superbe exécution de Léonore III, tranchante, aux contours magnifiquement dessinés

Anja Kampe (photo) incarne une Léonore volontaire, d’une inébranlable foi en son destin. Elle possède des aigus souverains et aborde l’Abscheulicher avec une spectaculaire aisance. Loin des Heldentenors traditionnels, Jorma Silvasti apporte à Florestan une fragilité bienvenue dans cette optique ; la voix rayonne dans les aigus et le haut médium témoigne d’une grande souplesse. Jon Wegner, Pizzaro à la voix tranchante, illustre de belle façon l’arrogance du fonctionnaire zélé et fort de son impunité. Rocca bien chantant de Jyrki Korhonen. Le couple formé par Christina Landshamer (Marzeline) et Sébastien Droy (Jaquino) est excellent dans des compositions d’une forte présence. La souplesse des voix et la chaleur des timbres se marient admirablement. Chœur excellent sous la direction de Michel Capperon – on souhaiterait juste des piano plus parfaits dans le chœur des prisonniers.

Un superbe Fidelio mûrement pensé, d’une justesse et d’une grandeur rarement atteintes.

Bernard Niedda

Strasbourg, Opéra National du Rhin, le 15 juin. Autres représentations : Strasbourg les 18, 21, 24, 26 juin à 20h. Mulhouse les 2 et 4 juillet 2008, à 20h.

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Photo : DR

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