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Paris - Compte-rendu - Les aristocrates de Saint-Pétersbourg
C'est fou comme la discipline engendre des hommes libres ! Paradoxe en apparence seulement : chacun sait bien que la liberté est une longue conquête et une longue patience... C'est la réflexion qu'engendre chaque apparition à Paris des plus grands orchestres du monde : Berlin, Vienne ou cette Philharmonie de Saint-Pétersbourg, le seul instrument que Karajan regrettait de ne pas avoir inscrit à son tableau de chasse. Avec son actuel patron Youri Temirkanov (photo), celle-ci vient de proposer un mini-festival Prokofiev au Théâtre des Champs-Elysées(a).
La seconde soirée passa comme un rêve. Un rêve néoclassique. Avant l'entracte, on était dans l'époque – fin de la Première Guerre mondiale et début de la révolution russe - avec sa première Symphonie justement dite Classique et le 1er Concerto pour violon. La première pièce a la dégaine de la première école de Vienne en réaction sans doute aux épanchements romantiques de Tchaïkovski. A écouter plus en détail, Prokofiev y ajoute un peu de poil à gratter qui évite l'écueil de la rondeur. Les violons de Saint-Pétersbourg si extraordinaires par leur absolue homogénéité se font mordants, acérés, jouant en lame de couteau : la forme est classique, le timbre moderne. Le Sacre du printemps est passé par là cinq ans auparavant! Mais tout cela ne veut pas être trop sérieux. Les fusées du finale retombent en gerbes d'étincelles, on frise l'espagnolade, mais ça n'était qu'une plaisanterie musicale. D'ailleurs, le professeur Temirkanov plie sagement ses petites lunettes de métal très pince sans rire.
Il en va de même du Concerto op 19 virtuose, mais léger. Léger comme la magnifique soliste, l'Allemande Julia Fischer qui du haut de ses vingt-cinq ans se rie des pires acrobaties, sans jamais quitter la seule musique de sa ligne de visée. Quand on songe à un certains nombre de singes extrême-orientaux dans ce genre de répertoire, on est bouleversé par tant d'authenticité et de respect de l'oeuvre. Youri Temirkanov garde le cap après l'entracte avec la Symphonie N° 5, fille de la Seconde Guerre mondiale et fortement influencée par les diktats du censeur Khrennikov : fuir les recherches bourgeoises pour faire dans le « popu »... Tu parles !
Temirkanov redouble d'aristocratie et d'intelligence: car les petites lunettes du professeur voient à travers la partition tous les non-dits écrits en filigrane pour notre bonheur. Prokofiev a la gouaille élégante : le chef ne fait jamais « ronfler » l'orchestre pour mieux mettre au jour la pudeur blessée du compositeur qui se réfugie dans un néoclassicisme consolateur et salvateur. Non qu'il cède cette fois à une mode comme au temps de sa jeunesse, avant l'entracte, mais aux ordres des petits chefs de la propagande soviétique. Mais de cette contrainte, il sait faire naître un chef-d'oeuvre. C'est Temirkanov qui nous le dit sans jamais s'apesantir. Un professeur d'élégance sensible.
Jacques Doucelin
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 5 décembre, 2008
(a)France Musique diffuse ces deux concerts les mardi 16 et jeudi 18 décembre à 14h30.
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Photo : DR
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