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Compte-rendu - Lulu à L’Opéra de Lyon - Lulu chez les « garçonnes »
C'est encore un spectacle d'une très grande qualité, d'un fini musical et d'un raffinement scénique rares que propose l'Opéra National de Lyon en collaboration avec la Scala de Milan et le Festival de Vienne, avec cette Lulu d'Alban Berg d'après deux pièces de Franz Wedekind sous la baguette de Kazushi Ono et dans une mise en scène de Peter Stein. Ainsi se poursuit le cycle entamé avec l'illustre metteur en scène allemand par le directeur de la maison Serge Dorny. Le même Peter Stein reprendra d'ailleurs à la fin de la saison prochaine la trilogie Pouchkine-Tchaïkovski qu'il a signée entre Saône et Rhône.
Sa Lulu n'est pas l'Ange Bleu, mais plutôt une « garçonne ». Elle ne pose pas à Lily Marlène, mais est la contemporaine du travail musical d'Alban Berg et de la République de Weimar, ville dans laquelle l'architecte Walter Gropius, dernier des nombreux maris d'Alma Schindler veuve Mahler, avait installé le premier Bauhaus. C'est, en effet, cette esthétique d'une si parfaite élégance, tant dans la découpe des meubles que dans l'ordonnancement géométrique des pièces ou dans la richesse des tissus, qui domine la soirée. Qu'en est-il alors, me direz-vous, de ce Lumpenproletariat qui enfanta le beau monstre Lulu ? Il est bel et bien présent même si c'est parfois de façon décalée, voire ironique.
Il enchâsse même l'action tragique de ce parcours de mort, qui commence sous les toits de l'atelier assez misérable du peintre qui croque la... croqueuse et s'achève dans une soupente londonienne sordide où se sont réfugiés les quatre rescapés de cette nef des fous jusqu'à ce que passe par là le couteau de Jack l'éventreur. Entre ces parenthèses misérabilistes, tout n'est que luxe et volupté. Pour le calme, c'est moins sûr. Tout participe à cette élégance: les décors de Ferdinand Wögerbauer, les costumes de Moidele Bickel et les lumières de Duane Schuler. La direction d'acteur de Peter Stein est au scalpel. Il sait descendre aux abîmes que lui ouvre la musique de Berg.
Mais la nuance est de règle au profit d'une harmonie de jeu parfaite. Si le banquier du salon parisien dans la scène 1 du 3e acte, semble sorti d'une caricature de Georges Grosz, le Schigolch campé par le vétéran Franz Mazura qui fut il y a juste 30 ans le Dr Schön pour la création de la version complète au Palais Garnier dans le spectacle de Chéreau dirigé par Boulez, garde à 84 ans sous son gibus cabossé quelque chose de la superbe du Dr Schön. A ces détails, on devine combien ce spectacle offre un reflet fidèle de la richesse de l'art allemand à la veille de l'avènement d'Hitler.
Mais Peter Stein n'insiste jamais: c'est à l'occasion de cette galerie de portraits hauts en couleur qu'il glisse un détail qui n'alourdit jamais le propos, celui de la comédie humaine comme on le voit dès le lever de rideau avec la parade des pensionnaires d'un cirque à la fois insouciant et cruel dont on devine que ceux qui ne disparaîtront pas d'ici à la fin de l'opéra, seront des acteurs engagés du drame politique qui va exploser entre Weimar, Berlin et Munich. Tout ceci est d'une force incroyable : un témoignage authentique. Patrice Chéreau avait hissé la scène finale hors du contexte historique, la projetant dans l'universel grâce à ces escaliers de métro symboles, sous la lueur blafarde de la lune, de la chute des corps et des âmes dans un purgatoire glauque. On a le droit de préférer l'honnêteté historique de Peter Stein.
Toute la distribution est homogène, jouant, parlant les dialogues à la perfection, de la Lulu joueuse et perdante au casque de cheveux courts de Laura Aikin à la Geschwitz aimante d'Hedwig Fassbaender, en passant par le Schön impressionnant de Stephen West, l'Alwa mieux que pleutre de Thomas Pfifka, le peintre de Roman Sadnik ou le banquier de Johann Werner Prein. Les ensembles vocaux sont admirablement réglés. C'est là qu'intervient le chef maison, le juvénile nippon Kazushi Ono, qui se promène dans la partition comme dans une valse de Strauss ! On reste abasourdi par ce qu'il fait entendre, notamment dans le 3e acte reconstitué par Friedrich Cerha, à commencer par la citation du prélude de Tristan, grand exemple d'amour interdit... Tout pour le chant. Tout est digéré, replacé dans l'évolution musicale du XXe siècle, apprivoisé sans effort ni pour lui, ni pour vous: la modernité à la portée de tous.
Jacques Doucelin
Alban Berg : Lulu - Opéra National de Lyon, le 24 avril 2009, puis les 28, 30 avril et 2 mai 2009 (à 19h30).
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Photo : DR
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