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La Chronique de Jacques Doucelin - Qui dit reprise ne dit pas réchauffé !

Comme toutes les salles de concerts et les autres théâtres lyriques, l’Opéra de Paris vient de dévoiler la programmation de la deuxième saison signée par Nicolas Joel. Dix neuf titres sont proposés à la curiosité des aficionados dont quelque sept nouvelles productions : jolie proportion ! On savait déjà que la prochaine saison verrait l’achèvement de La Tétralogie de Richard Wagner avec Siegfried et Le Crépuscule des dieux. Quelles sont donc les autres nouveautés ?

D’abord, la création mondiale d’Akhmatova du plus attachant des compositeurs français de la jeune génération Bruno Mantovani. Puis, une Francesca da Rimini de Zandonai (1883-1944), vériste cher au cœur de Nicolas Joel, dans une mise en scène dont on sait ne rien devoir attendre du fils Del Monaco que la présence de Roberto Alagna aura bien du mal à transcender… Le Triptyque de Puccini bénéficiera de la présence à la baguette du maître musical des lieux, Philippe Jordan, et du grand homme de théâtre italien Luca Ronconi.

Bravo, mille fois bravo d’avoir eu le courage d’afficher le chef-d’oeuvre de Paul Hindemith Mathis le peintre confié à un bien curieux attelage, Christoph Eschenbach libéré de l’Orchestre de Paris, et Laurent Pelly qui ne signera que trois mises en scène cette saison à l’Opéra de Paris : gare à la saturation ! Il amène, en effet, son Ariane à Naxos de Richard Strauss avant de s’attaquer à un nouveau Jules César de Haendel qui verra le retour rapide à l’Opéra d’Emmanuelle Haïm après son faux pas de l’an dernier, mais avec ses musiciens à elle… Ca n’est pas parce qu’on a été excellente répétitrice chez Bill Christie qu’on est forcément un grand chef. Madame Natalie Dessay viendra lui prêter main forte à la tête d’une belle distribution de la maison Joel.

Ce dernier aime, et il a bien raison, Puccini dont il reprend l’immortelle Tosca. Dans la perspective du bicentenaire de Verdi en 2013, on retrouvera avec plaisir Luisa Miller et Otello. En homme de goût pas sectaire pour deux sous, Nicolas Joel sait qu’une grande maison se doit de cultiver l’éclectisme. Ce que prouvent les reprises du Vaisseau fantôme de Wagner, de L’Italienne à Alger de Rossini, d’Eugène Onéguine de Tchaïkovsky, de La Fiancée vendue de Smetana ou la remarquable production de Marthaler de Katia Kabanova de Janacek.

La surprise - et elle est de taille ! - vient d’une autre reprise tout à fait inattendue celle-là, puis qu’après une carrière de plus de trois décennies on en avait même, dit-on, détruit les décors. Je veux parler de ces fameuses Noces de Figaro de Mozart, qui avaient triomphalement inauguré dans la mise en scène légendaire de Giorgio Strehler le règne de Rolf Liebermann en mars 1973 à l’Opéra… Royal de Versailles avant de poursuivre sa brillantissime carrière au Palais Garnier (reprise chaque année), puis à la Bastille. Ca va chauffer derrière les guichets !

Nul doute que le taux de remplissage n’explose les 100 %. C’est un « coup » et la frustration d’un nouveau public qui a toujours entendu parler de cette production mythique sans pouvoir jamais la voir, suffit à garantir son succès : ils vont se précipiter comme les moutons de Panurge. Mais ils ne découvriront qu’un très faible et fort lointain reflet de l’objet convoité. Qu’il nous soit, en effet, permis de douter que ce soit là une bonne affaire pour Mozart, voire pour Strehler dont je ne voudrais pas jouer les « ayants droit ». C’est le type même de la vraie fausse bonne idée en raison tout simplement de la disparition de Strehler qui seul aurait pu décider de cette reprise après une si longue période d’exploitation.

Car que va-t-il se passer au delà du mouvement de foule aux guichets ? On verra, au mieux, une pièce de musée alors que Mozart, c’est la vie ! Personne n’y trouvera son compte. Ni les vétérans qui se plaindront de ne pas retrouver leur jeunesse avec la fraîcheur de leurs impressions premières, ni les nouveaux venus qui vont se trouver dans un total décalage culturel, largués qu’ils seront tout simplement parce que le monde environnant comme la société française actuelle n’ont plus rien à voir avec les « trente glorieuses » de la fin du XXe siècle d’où partaient Strehler et Liebermann. Comme la pièce originale de Beaumarchais, l’opéra de Mozart est d’abord une critique acerbe des rapports sociaux : c’est de l’explosif !

Cette reprise voudrait-elle aussi correspondre au centenaire de Rolf Liebermann le 14 septembre prochain ? Ce serait une excuse… Et encore. Car, les Noces sont une pièce de théâtre tellement parfaite qu’elles doivent être réinterrogées à chaque génération. C’était l’occasion justement d’un vrai challenge : qui va relever le défi ? Patrice Chéreau, Ariane Mnouchkine ou un autre ? C’est un peu comme le projet de reprise d’Atys de Lully dont on parle, par Christie et Villégier : encore les auteurs sont-ils encore vivants ! C’est à eux à décider. Ils ont marqué en 1987 un grand coup qui a fait basculer l’opinion et les politiques en faveur de la musique baroque, mais à un moment déterminé de l’histoire de la musique chez nous. Or la page est tournée. C’est le plus difficile à admettre.

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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