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La Chronique de Jacques Doucelin - La tournée du Voyage à Reims : une initiative exemplaire
C’est un drôle de Voyage à Reims qui vient de s’achever en… Hongrie ! De quoi mettre en joie son auteur, un certain Gioacchino Rossini, qui n’a jamais caché son appétit d’ogre et qui l’avait écrit à Paris en 1825 à l’occasion du sacre controversé de Charles X à Reims. Si l’oeuvre a fait ainsi l’école buissonnière s’arrêtant dans quelque seize Opéras des régions françaises, c’est qu’il s’est agi d’une grande première en matière de coproductions lyriques sous l’égide du Ministère de la Culture.
Une expérience très riche, en tout cas, qui a fait d’une pierre deux coups permettant à la fois à une trentaine de jeunes chanteurs internationaux de s’insérer dans la profession en se retrouvant durant deux saisons comme au sein d’une troupe, et à un vaste public de découvrir un opéra rare d’un compositeur archi-connu. Seuls les becs fins qui ne quittent jamais leurs bureaux parisiens ont pris des mines de précieux dégoûtés pour proclamer que seul Claudio Abbado pouvait prétendre se saisir d’un opéra destiné à des interprètes célèbres…
« C’est un projet très intéressant, mais pas facile à mettre en place en raison du grand nombre de coproducteurs », leur répond avec sérénité son promoteur Raymond Duffaut, directeur de l’Opéra d’Avignon et patron depuis trois décennies des Chorégies d’Orange. « C’est un total de 44 représentations réparties sur deux saisons et qui ont touché 48.000 spectateurs. Les théâtres ont été pleins tout le temps : à Bordeaux, dont l’Opéra national n’est pas le moindre de l’Hexagone, ce Voyage à Reims a fait plus de recettes que La Flûte enchantée de Mozart ! »
Coût total de l’opération : 500.000 euros. Ce budget a bénéficié de 44.000 euros de subvention de l’Etat et de 40.000 euros de la Fondation Orange. Les seize Théâtres coproducteurs ont déboursé chacun à peu près la même somme, de 17.000 à 20.000 euros, ce qui est beaucoup moins que le coût des coproductions habituelles entre scènes lyriques et à peine plus qu’une simple location de spectacle qui débarque, lui, comme une coquille vide et sans préparation, alors que ce Voyage à Reims arrivait clé en main.
Raymond Duffaut insiste beaucoup sur la disparité des établissements où il a fait escale, de l’international Capitole de Toulouse au modeste Opéra de Vichy. Un système de compensation, ou plutôt d’entraide, a facilité les choses aux plus démunis : c’est ainsi qu’il y a eu seulement 13 orchestres et 12 chœurs pour 17 théâtres, Hongrie comprise. Il en alla de même pour les ateliers de décors et de costumes. Cet apprentissage de la solidarité entre directeurs d’Opéras n’est pas le moindre fruit de cette initiative.
Auparavant, il y eut quelque 500 auditions de jeunes chanteurs venus du monde entier : 29 furent retenus afin de constituer deux distributions susceptibles d’alterner. « Ils sont venus de partout, de Corée, d’Italie, beaucoup de Russie, note Raymond Duffaut. Nous avons réussi à réunir deux distributions bien équilibrées, malgré quelques défections dues à des … concours où certains s’étaient distingués, notamment les Operalia de Placido Domingo ! Il a fallu essayer de les fixer sur les représentations à venir. »
On l’a compris, il s’est beaucoup investi dans ce projet et s’il réfléchit déjà à un second, il juge nécessaire la désignation d’un chef de projet. Le choix d’un ouvrage destiné à voyager n’est pas chose facile en effet. Ça ne peut être ni un chef-d’œuvre trop souvent à l’affiche et qui risquerait de concurrencer d’autres productions, ni une pièce inconnue qui viderait les salles... Il y faut aussi une distribution assez nombreuse pour pouvoir entraîner un maximum de jeunes chanteurs au sein d’une troupe efficace, même si elle est temporaire.
Si nos parigots snobs daignaient se rendre en province autrement qu’au gré des festivals d’été, ils pourraient constater tout ce qui s’y passe de passionnant à longueur de saison et dont la capitale n’a souvent pas la moindre idée. Ainsi auraient-ils pu saluer l’originalité d’une initiative qui n’a pas d’équivalent ni du côté du théâtre parlé, ni de la danse.
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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