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Compte-rendu : La force tranquille - Le Ballet de Novossibirsk au Châtelet
Qu’il est bon de réviser ses classiques avec une compagnie telle que cette troupe sibérienne de 100 danseurs, créée en 1945, et qui occupe vaillamment sa place de troisième après Bolchoï et Mariinski, les deux colonnes d’Hercule du Ballet russe. On revérifie avec délices la force de frappe intacte de classiques tels que la Bayadère, ou le Lac des Cygnes, dont l’Opéra de Paris et les autres grandes maisons ne nous privent guère, il est vrai. Car la passion que les Russes mettent à défendre ce patrimoine académique qui est un peu aussi le nôtre, puisqu’il marie fougue slave et finesse à la française imposée par le marseillais Petipa à Saint-Pétersbourg, continue d’être contagieuse. En a-t-on vu, de ces filles russes longilignes aux bras onduleux, aux jambes interminables, aux pieds tournés idéalement, le tout composant une idéale et étrange silhouette, battre l’air et baisser leur œil noirci et leu cou étiré pour figurer ces drôles d’oiseaux que sont les cygnes dansants rêvés en 1895 par Petipa et Ivanov. Il y faut une impeccable gestion de l’espace, une rigueur militaire, et l’amour du geste pur, humblement dégagé de tout désir identitaire. Le Lac, plus qu’aucun autre ballet classique est une leçon de rigueur. Il peut aussi dégager la plus intense poésie, même si la version historique ne peut plus aujourd’hui figurer en première place depuis que John Neumeier l’a revisitée à Hambourg, et il faut l’avouer, depuis que Rudolf Noureev, sensible au caractère psychanalytique de ce conte morbide, lui a donné de nouveaux habits et une nouvelle résonance pour l’Opéra de Paris. Ce fut assurément la plus intéressante de ses relectures, et la moins lourde de ses chorégraphies si besogneuses habituellement.
Ici, Igor Zelenski, magnifique danseur devenu le directeur artistique de la troupe sibérienne après une grande carrière internationale, s’en tient à la tradition, en insufflant quelques vitamines bien venues à la version de Konstantin Sergueev, reprise de l’original. Mais il sait ne pas offrir le spectacle de ces troupes antiques venues du froid, aux costumes hilarants et poussifs dans leur caractère vieillot. Il se contente d’être classique, avec l’aide d’une magicienne du perlé et du mordoré, Luisa Spinatello, qui a habillé cette récente production avec grâce et élégance. Le résultat est exquis, même si l’on s’étonne que cette histoire oh combien nordique soit cadrée par un décor Renaissance italienne, inspiré de Pisanello, et qui pourra parfaitement resservir pour un Roméo et Juliette, ainsi que les costumes. Mais la dame décoratrice ne peut évidemment renier ses origines !
La nouveauté, dans ce très classique retour aux sources, c’est que les cygnes ont des ailes, ou plutôt des bras aptes à frémir et onduler comme des oiseaux, qualité qui manque cruellement à l’Ecole française. Ce qui les rend incomparables dans les fameux tableaux blancs. On apprécie aussi la beauté et la jeunesse des danseurs, qui vivent ces tournées avec un bonheur évident. Mais que serait un Lac sans sa reine ? Il en a défilé plusieurs lors de ces festivités, de Polina Semionova, liane venue de Berlin, et Diana Vishneva, joyau du Mariinski, à Elena Vostrotina, étoile à Dresde : toutes Russes, toutes merveilleuses. Sans parler des étoiles maison, formées pour la plupart à l’excellente école de Novossibirsk. Mais on a retenu avec une attention particulière la prestation d’Elena Vostrotina, peu connue du public français, laquelle, avec un physique bizarre aux limites de l’androgynie, a véhiculé une charge émotionnelle peu banale, et déployé magnifiquement des bras et des jambes interminables.
On se réjouit que pour ce Lac des Cygnes, ainsi que pour la Bayadère, le public se soit précipité, preuve que le ballet classique enflamme encore, avec ses plus endurants chefs d’œuvres, et que s’il manque quelque chose au panorama chorégraphique de Paris, c’est bien le grand Festival qui se tenait autrefois au Théâtre des Champs-Élysées. Une lacune que ces Etés de la Danse, imaginés par Valery Colin depuis juillet 2005, tout comme les productions de Richard Stephant, avec ses Galas d’étoiles et ses Soirées russes, tentent heureusement de combler.
Jacqueline Thuilleux
Théâtre du Châtelet, jusqu’au 24 juillet 2010.
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Photo : DR
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