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17ème Festival Toulouse les Orgues - Les 15 ans du chœur Les Eléments - Compte-rendu
Lors du week-end de clôture du 17ème Festival international Toulouse les Orgues (9-21 octobre), voix et orgue furent intimement mêlés. Au programme du vendredi : concert-conférence de Bernard Foccroulle, fidèle de TLO, à l'église-musée des Augustins ; Colloque Xavier Darasse (1934-1992), à l'occasion du 20ème anniversaire de sa disparition ; concert de l'Ensemble Gilles Binchois de Dominique Vellard : Messe de Notre-Dame de Machaut, dont les sections alternaient avec les superbes Inventions de Gilbert Amy par François Espinasse à l'orgue de la cathédrale de Toulouse (où il les a enregistrées en 2002, Hortus). Le samedi fut d'abord consacré, aux Chartreux, à un programme Rameau d'Yves Rechsteiner à l'orgue et Henri-Charles Caget aux percussions, à la suite du Colloque puis à un concert de la Maîtrise de Toulouse (CRR) dirigée de main de maître par Mark Opstad à la Dalbade : Kodály, Gowers et Fauré (Requiem).
Souhaité par Michel Bouvard, directeur artistique du Festival, telle une illustration des goûts éclectiques de Xavier Darasse (qui impulsa la construction aux Augustins d'un orgue baroque allemand par Jürgen Ahrend [1981, op. 105], pur chef-d'œuvre, notamment sur le plan de l'harmonisation, qui n'a pas pris une ride), avait lieu en soirée à l'église-musée un concert intitulé Byrd, Bach, Bond – James Bond, quelques jours avant la sortie de Skyfall, qui marque le cinquantenaire de l'apparition sur grand écran de l'agent secret de sa Majesté… Ce fut un bonheur que de retrouver les exceptionnels Voces8, groupe anglais de formation on ne peut plus traditionnelle (cf. Actualité du 26 septembre 2009) mais ouvert à d'autres formes de musique. L'organiste canadien Réjean Poirier (qui vint étudier à Toulouse auprès de Darasse au début des années 70) ouvrit ce double programme avec un imposant Clarifica me de William Byrd, magnifié par l'orgue Ahrend, auquel répondit O Clap Your Hands d'Orlando Gibbons, première page vocale d'apparat de la soirée. Suivirent un envoûtant Ave Maria de Robert Parsons, des extraits de la Mass for Four Voices ainsi qu'un admirable Vigilate de Byrd. Grandeur et perfection vocale sur fond d'harmonie au sens le plus absolu du terme, les huit chanteurs de Voces8 (deux femmes, six hommes) parvenant à une fusion des timbres tout simplement stupéfiante. Après la Renaissance anglaise, Bach : deux Chorals (BWV 648 et 649) joués avec une très chantante sobriété par Réjean Poirier, puis le Motet BWV 226 – et cette couleur singulière des voix anglaises dans Bach, étonnamment différente de celle des formations du continent en termes de souffle et de vibration, de diction et d'accentuation.
La seconde partie fut consacrée au XXe siècle, entre musicals et septième art, les Voces8 y ajoutant de délicieux dons d'acteurs, so british – humour calculé au plus juste, avec élégance et sans l'ombre d'une quelconque insistance, scénique ou vocale, formidable et virtuose numéro d'équilibre à part entière, chaque pièce étant présentée à tour de rôle, en français et avec l'accent ad hoc qui fait fondre l'auditoire, par les chanteurs. Réjean Poirier ouvrit cette seconde partie avec le fameux Sweet Sixteenths (a Concert Rag for Organ) de William Albright, que l'on connaît plus enlevé et swinguant, mais qui en l'occurrence – sur un orgue au tempérament inégal parfaitement en situation ! – fut singulièrement prenant, d'une modération imperturbable, presque hypnotique.
Suivirent Al Jolson (Me and My Shadow), Otis Blackwell (Fever – l'un des tubes, irrésistible, des Voces8), Nat "King" Cole (Straight Up and Fly Right), Elvis Presley (Jailhouse Rock), autant d'arrangements à haut risque et faits sur mesure pour Voces8 par le talentueux Jim Clements, « 9ème membre du groupe » – s'y ajoutait un électrisant I Got Rythm de Gershwin. Puis vint le troisième B – Goldeneye, Nobody Does it Better : James Bond dans toute sa splendeur cinématographique, les voix seules parvenant à restituer la saveur des bandes son des plus célèbres opus, puis de nouveau Gershwin : Slap that Bass, chef-d'œuvre de chant et de jeu – le tout de nouveau arrangé par Jim Clements. Les bis furent nombreux, du traditionnel et loufoque pot-pourri d'opéras jusqu'à un vibrant Maria de West Side Story, et le succès chaleureusement exubérant. Pour finir la soirée, le Barbaro Jazz Trio, dans le hall de l'hôtel Crowne Plaza, à deux pas du Capitole, proposait un aller-retour entre jazz et classique-contemporain, toujours en hommage à Darasse : Charles Balayer à l'orgue Hammond, Guy Barboutie à la guitare, Hervé Roblès à la batterie – occasion pour beaucoup de découvrir la richesse insoupçonnée et l'extraordinaire souplesse de l'orgue Hammond.
Le dimanche, après la clôture du Colloque Darasse aux Dominicains, avait lieu un concert très attendu, celui des 15 ans du chœur de chambre de Joël Suhubiette : Les Éléments (photo). Avant même la création du chœur professionnel, la formation « amateur » avait participé au premier concert de la première édition de Toulouse les Orgues (1996). Rien de plus naturel à ce que ce concert d'anniversaire s'intègre au week-end de clôture de la 17ème édition, au côté de l'un des partenaires de prédilection de l'ensemble : Les Passions (orchestre baroque de Montauban) de Jean-Marc Andrieu – leur dernière production discographique commune, ultime volet de la trilogie Jean Gilles : Messe en ré et Te Deum, est sortie cet été chez Ligia Digital (cf. Actualité du 14 mai 2012).
Le programme offrait un fidèle reflet du parcours des Éléments : répertoire ancien, moderne et contemporain, à travers commandes et créations. La première partie, a cappella, fit entendre Absence (2003) de Patrick Burgan, dont les Éléments avaient créé Audi Coelum lors de l'édition 1998 de TLO ; Lama Sabaqtani (2009) de Zad Moultaka – œuvre également créée par Les Éléments – elle referme le programme Méditerranée Sacrée, merveilleuse invitation au voyage dans le temps et l'espace (du Llibre vermell de Monserrat, Victoria ou Gesualdo à Scelsi et diverses créations), album chanté en arabe, grec ancien, latin, hébreu et, en l'occurrence, syriaque (L'Empreinte Digitale, 2011) ; la Messe pour double chœur de Frank Martin ; enfin Medea Cinderella (2010) d'Alexandros Markeas, œuvre splendide de tension dramatique, puissamment animée par une spatialisation des pupitres vocaux.
Est-ce l'habitude d'entendre ce type de répertoire dans des lieux à l'acoustique plus densément porteuse et à l'architecture plus en lien avec l'esprit de cette musique ? Toujours est-il que la Halle aux Grains, réputée pour le répertoire symphonique, donna l'impression de dépouiller les voix, le son n'étant que faiblement soutenu, presque à nu, d'une résonance fragilisée. On imagine que ce manque de réponse acoustique ne pouvait qu'influer sur la perception qu'avaient les chanteurs de leur propre intégration dans l'espace. L'habituelle magie des sons n'opérait pas, en dépit des qualités d'exécution et d'interprétation – égales à elles-mêmes – déployées par les musiciens. Le choc vint de la Messe (1922/1926) de Frank Martin, dont la beauté avait transporté dans « l'abbatiale » de Sorèze (Festival Musique des lumières, cf. Actualité du 16 juillet 2011). Sous les charpentes métalliques de la Halle aux Grains, idéale pour d'autres univers, l'œuvre sembla « déspiritualisée », parfaite de mise en place, tant le rapport entre chef et chanteurs est et reste optimal, mais comme sans aura.
La présence de l'orchestre – Magnificat en ré majeur BWV 243 de Bach en seconde partie – ne changea rien à la situation, quand bien même l'espace était dynamiquement « rempli » – pas d'effet de lointain ou d'insuffisance, simplement un manque de respiration du son et d'épanouissement de la musique en un lieu non pas hostile mais inerte, en même temps que d'une clarté, qui dans un autre contexte ne serait que positive, surexposant de manière assez crue solistes et instruments sans que l'acoustique nimbe et porte le son. S'il est vrai que Joël Suhubiette, chef de chœur, sembla s'adresser plus à ses chanteurs qu'à l'orchestre, il y eut quelques moments de magie sonore – ainsi l'entrée des cordes sur rythme de barcarolle de l'Et misericordia pour alto et ténor – instants de grâce faisant d'autant mieux éprouver le manque de « configuration » de l'ensemble. De même pour le bis, un extrait de la Cantate BWV 140, où la spatialisation du chœur, comme pour Markeas, n'eut cependant pas les mêmes résultats, comme si l'espace se refusait plus encore à porter le son.
Sans doute la possibilité de célébrer ces 15 ans d'existence devant un vaste public (la Halle aux Grains, qui était comble, offre plus de 2000 places) explique-t-elle ce choix du lieu : la fête et l'hommage rendu par un public enthousiaste tant aux Éléments qu'aux Passions n'en furent pas amoindris, témoignant avec éloquence et ferveur de la place essentielle qu'occupent ces deux formations d'envergure, dont l'ancrage premier demeure intimement lié à la Région Midi-Pyrénées, dans la vie culturelle toulousaine.
C'est sur une Nuit de l'Orgue à Saint-Sernin que l'édition 2012 de TLO s'est refermée. Comble en début de marathon, la nef de la basilique comptait encore plus de cent-cinquante auditeurs après minuit – pour une programmation presque entièrement consacrée au XXe siècle, plus une création. Nul doute que pour un tel programme, le fait de voir à l'œuvre, sur écran géant, l'organiste et ses assistants de registration aura facilité le contact avec la musique. Neuf organistes (le casse-tête des répétitions !) – mais pas une femme – se succédèrent tout au long d'une soirée présentée par Benjamin François et enregistrée par France Musique pour une diffusion les 20 et 21 décembre à 14 heures. Après la Fantaisie de Franck (jouée pour l'inauguration de Saint-Eustache, Paris, 1854) puis les Variations op. 27 de Schoenberg dans une version pour orgue de Darasse, Bernard Haas créa D.G. in memoriam de Patrick Burgan, commande de TLO, vaste Fantaisie en 6 tableaux sur le nom de Xavier Darasse, évocation de l'opéra inachevé de Darasse d'après Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde. Œuvre dense, poétiquement structurée, tour à tour mystérieuse, haletante et d'un lyrisme échevelé, admirablement restituée par l'interprète – de celles que d'emblée l'on souhaiterait réentendre.
Ghislain Leroy joua ensuite, superbement, Organum IX de Darasse, paru en juin 1992, peu avant sa disparition (24 novembre) : page complexe, comme l'ensemble de la série, d'une richesse suggérant une multitude d'œuvres en une même pièce qui, au moment de conclure, révèle sa pleine cohérence. Lui succédèrent aux claviers Jean-Pierre Lecaudey (Choral n°2 de Franck, travaillé avec Darasse), puis le compositeur belge Benoît Mernier dans son propre et incantatoire Choral « Le don des larmes », suivi de Vincent Genvrin dans quatre extraits des Vêpres op. 18 d'un Marcel Dupré jeune et étonnant d'inventivité et d'audace – inutile de dire que la splendeur du Cavaillé-Coll de Saint-Sernin sert cette musique de façon optimale. S'ensuivit, pour beaucoup, une double découverte : Organum V de Darasse (1983), d'une poésie subjuguante, interprété avec une déconcertante aisance par le lauréat 2012 du Concours Pierre de Manchicourt de Béthune : le jeune Américain (parfaitement francophone) John Walthausen – un pur enchantement. Titulaire des lieux, Michel Bouvard offrit un revigorant Dieu parmi nous de Messiaen (La Nativité), avant que Thomas Lacôte n'enchaîne sur une improvisation souvent grave et sombre, au souffle prenant, renonçant à tout effet et se refermant pp. Bernard Foccroulle, professeur d'orgue au Conservatoire de Bruxelles et directeur du Festival d'Aix-Provence, devait conclure cette Nuit de l'Orgue avec Organum III de Darasse : si toute la série est d'une redoutable difficulté instrumentale et musicale, celui-ci est à donner le vertige – que redoublait à l'écran l'image de l'effervescence régnant à la console. Pas de doute, le roi des instruments n'a pas fini de nous émerveiller, de nous surprendre, de nous élever.
L'hommage à Xavier Darasse se poursuivra en 2013 avec le 11ème Concours international d'orgue portant son nom, dont il fut le créateur en 1981 : la finale aura lieu les 15 et 16 octobre dans le cadre de la 18ème édition du Festival Toulouse les Orgues – dont la direction artistique, initialement assurée par Michel Bouvard et Willem Jansen, ses créateurs, puis durant de nombreuses années par Jansen seul et actuellement par Bouvard seul, sera conjointement assurée en 2013 par Michel Bouvard et Yves Rechsteiner, et à partir de 2014 par Rechsteiner seul…
Michel Roubinet
17ème Festival Toulouse les Orgues, 20 et 21 octobre 2012
Sites Internet :
Festival international Toulouse les Orgues
http://www.toulouse-les-orgues.org/?lang=fr
Concours Xavier Darasse 2013
http://www.toulouse-les-orgues.org/concours-international-d-orgue/presen...
Voces8
http://www.voces8.com/web/
Réjean Poirier
http://rejeanpoirier.ca
Chœur de chambre Les Éléments – Joël Suhubiette
http://www.les-elements.fr
Les Passions – Jean-Marc Andrieu
http://www.les-passions.fr/index.htm
Yves Rechsteiner
http://www.yves-rechsteiner.com
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Photo : Thomas Guillin
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