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Yo Yo Ma et son Silk Road Ensemble –Tour de Babel musicale - Compte rendu
Yo Yo MA, Silk Road Ensemble, Kinan AZMEH, WU Tong, Kayhan KALHOR, Christina PATO
On sait que ce sont des musiciens émérites, des universitaires parfois, des chercheurs toujours dans l’art de tirer des sons toute une philosophie. Pourtant ils ont l’air de grands enfants, avec cette joie qui irradie leurs visages et les soude avec un formidable élan. Le rythme ici est roi, qui ne cherche pas à mener vers un climax comme dans les tambours japonais ou les percussions africaines. La musique s’y déploie comme un train aux innombrables wagons, un serpent à transformations. Impossible de l’attraper par la queue : le manouche est devenu Indien, le jazz remplace l’Iranien, le temps que chaque instrumentiste s’empare du thème donné, ou plutôt de l’impulsion, car il n’y a là guère de mélodie, et la lance en l’air avec mille variantes.
Les musiciens du Silk Road Ensemble sont quinze, dont Yo Yo Ma, qui les a rassemblés il y a une quinzaine d’années pour tenter un voyage imaginaire reliant les cultures, afin de les mixer en un langage où tout se réinvente à chaque instant, même si l’on peut se raccrocher à des bases reconnaissables. Il y a là un rêve de mondialisme poétique, idéal, une sorte de Tour de Babel musicale, dont le charme repose surtout sur de splendides numéros isolés et sur l’enthousiasme de l’ensemble. Fabuleux, le syrien Kinan Azmeh à la clarinette, fabuleux, le pékinois Wu Tong, danseur, compositeur, magnifique chanteur, et prophète en son pays puisqu’il est star en Chine : la façon dont il jongle avec son sheng est stupéfiante ! Fabuleux aussi l’iranien Kayhan Kalhor, joueur de kamancheh et qui compose pour le groupe. Irrésistible la galicienne Christina Pato, faisant corps avec sa gaita comme une amazone avec son cheval. Quant à Yo Yo Ma, âme et fondateur de l’ensemble, toujours en quête de formes nouvelles, mais rattachées entre elles (on se souvient de ses Suites de Bach avec danse, théâtre et cirque en contrepoint), il reste un peu en retrait, se contentant de participer sans faire de solo très marqué. Il a bien d’autres occasions de mettre en valeur son talent unique sur les scènes classiques.
Des sons plus que des musiques, des couleurs plus que des images, ont tourné dans l’air du soir, des rythmes se sont enchaînés sans jamais se lasser ni se casser. Où vont-ils, ces artistes possédés, portés par une flamme qu’aucune barrière n’entrave, où va leur musique, signée de Kinan Azmeh en hommage à Ibn Arabi, de Colin Jacobsen - évocation d’un temple zoroastrien -, ou de Sapo Perapaskero pour un délire rom ? Vers sa propre délectation bien évidemment, puisqu’elle se coupe un peu de ses bases culturelles tout en les mixant. Fasciné, certes, par les instrumentistes, on est touché plus que convaincu par cette évocation d’un monde meilleur. Mais il n’est pas interdit d’en rêver.
Jacqueline Thuilleux
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 8 septembre 2014
Photo © Khalid Al Busaidi / Royal Opera House Muscat, Oman
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