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Le Trio Medici à l’Auditorium du Louvre – Un pur moment de grâce – Compte-rendu
On attendait Pavel Kolesnikov, jeune star du clavier russe, et on a eu le Trio Medici, avec le plus beau des programmes. Là encore, l’ombre de la Sainte Russie a plané sur le concert avec le sublime Trio en la mineur op. 50 de Tchaïkovski. En effet les deux jeunes femmes qui tiennent violon et clavier, Vera Lopatina et Olga Kirpicheva, furent formées au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, et c’est là qu’avec le violoncelliste Arseny Chubachin, leur trio se créa, couronné d’un succès international immédiat. Puis Lopatina s’en fut se perfectionner à Paris, en 2009. Quatre ans après le trio reparut avec Jeremy Genet, fleuron d’une école française de violoncelle qui ne cesse de produire des merveilles, bien plus que celle de violon.
Dès 2013, date de sa remise sur orbite, le Trio Medici a reçu un accueil enthousiaste partout, couronné par l’Académie Ravel de Sain-Jean-de-Luz et cette année 2e prix du Concours Haydn à Vienne, lieu où l’on ne badine pas avec la musique de chambre. Ici, ils ne se sont pas privés de chefs-d’œuvre : quoi de plus poétique, de plus fin que le Notturno de Schubert, œuvre étrange par sa taille, puisque intitulée Trio en mi bémol majeur D 897, elle ne comporte qu’un mouvement. Une forme elliptique donc, mais une intensité comme Schubert savait l’infuser avec des moyens apparemment modestes, et une nette prédilection pour l’union des cordes, tandis que le clavier les rehausse délicatement. On a pu d’emblée juger de l’osmose totale entre les trois musiciens, de leur respiration souple dans une pièce qui se veut discrète et rêveuse.
Ensuite, tout simplement la plus difficile, mais la plus belle œuvre de la musique de chambre de Tchaïkovski : le Trio en la mineur opus 50 que Tchaïkovski écrivit « A la mémoire d’un grand artiste », en l’occurrence Nikolaï Rubinstein, se veut véritable tragédie psychologique et adopte des formes si variées qu’il en devient presque une symphonie de chambre, aux multiples épisodes plus que des mouvements. Tchaïkovski fut en effet bouleversé par la disparition précoce, en 1881, du grand pianiste avec lequel il avait entretenu des relations fortes et contrastées - celui-ci repoussant avec mépris le 1er Concerto pour piano que Tchaïkovski lui joua, et qui fut créé par von Bülow, avant de revenir sur sa position.
L’œuvre est comme une stèle funéraire sur laquelle le compositeur a gravé sa douleur, évoqué la vie de son ami et son art de la composition, puis passé de mélodies villageoises, chères à Rubinstein, à un final lugubre, en forme de marche funèbre. Par sa gravité qui sait se faire éthérée, le violoncelle est assurément le meneur de ce chant du cygne imaginé par un artiste pour un autre qui lui était cher, et la sonorité de Genet ne faiblit pas dans cette longue promenade élégiaque ou tragique, après l’avoir ouverte sur une sorte de déploration.
Ses deux partenaires non plus n’ont pas démérité, privilégiant la finesse et la poésie sur les vibrations plus graves que de grands maîtres ont exploitées davantage - historique enregistrement de Rubinstein, Heifetz et Piatigorsky. On peut parler à leur sujet d’une certaine verdeur, d’un certain manque de puissance, mais leur vision est cohérente, harmonieuse, et coule avec la fluidité qu’on attend d’une œuvre aussi ressentie. Car comme tous les chefs-d’œuvre, ce Trio ouvre la porte à de multiples sensibilités, à condition qu’elles s’apparient, ce qui est ici le cas, pour le meilleur.
Jacqueline Thuilleux
Paris, Auditorium du Louvre, 30 avril 2015
Photo © Classic360
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