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Maïa Plissetskaïa (1925-2015) - L’adieu au cygne
L’autre Maria du XXe siècle, toutes deux incomparables, la première pour le bel canto, la seconde pour ce tracé fulgurant qu’elle a laissé dans le ballet classique. Née deux ans après la première, Maïa Plissetskaïa fut moins malheureuse qu’elle, grâce à une vie de femme réussie, avec son mari, le compositeur Rodion Tchédrine qui vantait l’oreille absolue de sa divine épouse et à une irréductible foi en son étoile. A Verbier, où on le joue souvent, on voyait sa silhouette impériale passer, toujours superbe, altière, gracieuse aussi.
Superbe encore lors du gala de ses 85 ans, le 6 décembre 2010 au TCE. Toute la jeune garde de modernes virtuoses avait défilé avec éclat, accomplissant des performances tourbillonnantes, puis, sur la scansion du Boléro de Ravel, elle est apparue, brassant l’air et les cœurs du public comme une déesse antique, jaillie comme une flèche dans sa robe bleue Cardin.
Elle avait tout vaincu, la douleur d’un père fusillé à 37 ans, la dureté de sa carrière sous l’horreur du joug soviétique, ses cruautés et ses tracasseries, elle qui fut traitée là-bas « d’enfant d’ennemi du peuple ». Elle avait vaincu les kilos - elle fut joliment ronde dans sa jeunesse - avant de devenir la liane que Béjart déploya en Léda, face à Jorge Donn, puis les liftings multiples qui, miracle, n’altéraient pas sa beauté. Elle avait servi de carte de visite lors de réceptions officielles à Moscou, dansé, terrifiée, sur le parquet ciré à mort du Kremlin pour l’anniversaire de Staline, le 22 décembre 1949, alors que celui-ci bavardait avec son voisin Mao, et fait la révérence les yeux fichés dans le sol, pour ne pas rencontrer ceux du tyran.
Travailleuse forcenée, elle avait bouleversé le monde de ses bras aussi fluides que les ailes des cygnes qu’elle incarna partout, et fait sangloter un gamin de treize ans à sa prise de rôle dans Don Quichotte au Bolchoï, le 1er mars 1950 : il s’appelait Rudolf Noureev. « Vous aviez allumé un incendie en scène, lui dira-t-il plus tard. » D’un cabotinage effronté, sous ses diadèmes de toc, on demandait et on redemandait ses saluts, tant son art était de pur diamant.
Un souvenir, lors d’un spectacle au Palais Garnier. La salle, la voyant assise au premier rang du balcon, lui avait fait une ovation. Elle salua gracieusement puis laissa le public s’écouler avant de sortir la dernière, cueillant l’ultime miette d’offrande. Elle avait de nombreux défauts, et notamment cette jambe en dedans assez caractéristique de l’école russe, mais qu’elle sut ériger en style. Elle eut aussi de grandioses ratages, ainsi le Boléro de Béjart qu’elle voulut à tout prix et dont elle ne comprit pas l’esprit symbolique, même si on put se laisser prendre par sa fascinante silhouette. Maïa ne pouvait être un symbole, elle dévorait ses rôles, s’imposait, elle. Le chorégraphe la capta mieux en Isadora : apparaissant d’un côté de la scène, puis la traversant avec au cou le fil rouge de la fameuse écharpe mortelle, elle déclenchait le grand frisson par ce seul trajet.
Elle fut un animal sauvage, dotée aussi d’un terrible sens de l’humour, et le pauvre Dominique Delouche, à qui l’on doit tant de documentaires magnifiques où l’essentiel de la tradition classique est transmise par de grandes ballerines à leurs héritières (Chauviré, Verdy entre autres) ne parvint pas à la capturer pour le film qu’il lui consacra tant bien que mal. Elle n’en fit qu’à sa tête ! Ce Maïa, de 1999, n’en demeure pas moins un document précieux, porteur de cette frénésie qu’elle mettait dans tout ce qu’elle touchait.
Incontrôlable, indomptable, un éclatant sillage d’orgueil et de joie de danser, pour mieux exister et vaincre la médiocrité.
Jacqueline Thuilleux
Le Festival de Verbier lui rendra hommage le 23 juillet : Valery Gergiev dirigera le Verbier Festival Orchestra avec une projection simultanée de Maïa dansant le Boléro de Béjart. www.verbierfestival.com
A lire : Moi, Maïa Plissetskaïa, Témoins Gallimard, 1995
A voir : Maïa (couplé avec Katia et Volodia) de Dominique Delouche, DVD. Films du Prieuré et Doriane Films.
Photo © DR
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