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Olivier Vernet ouvre la saison de Plein Jeu à Saint-Séverin – Grandeur, énergie et prise de risques – Compte-rendu
Si l'occasion est rare d'entendre à Paris l'un des plus beaux noms de l'orgue français d'aujourd'hui, organiste de la cathédrale de Monaco – et du Prince ! –, professeur à l'Académie de Musique Rainier III et au Conservatoire de Nice : Olivier Vernet, c'est peu dire que la longue attente fut magnifiquement récompensée. Olivier Vernet est pour sa génération ce que Marie-Claire Alain fut pour la sienne : l'organiste ayant le plus enregistré, l'élargissement de sa discographie (plus de 100 CD à ce jour) allant de pair avec celui, constant, de son répertoire, l'une nourrissant et bonifiant l'autre, et inversement.
Certains de ses concerts parisiens les plus marquants ont d'ailleurs été en lien avec un événement discographique. Ainsi en 2000 le concert Bach (Chorals de Leipzig à Notre-Dame des Blancs-Manteaux) célébrant l'achèvement du grand œuvre : l'intégrale de l'Œuvre d'orgue du Cantor en 15 CD, ou encore, à Saint-Étienne-du-Mont le 10 décembre de la même année, son récital Liszt faisant entendre les trois pièces majeures, huit jours avant qu'il ne les enregistre sur l'orgue de Saint-François de Lausanne. Il en va de même pour ce somptueux et généreux récital de rentrée à Saint-Séverin, Ligia Digital, maison de disques créée en 1992 par Olivier Vernet et Éric Baratin, ayant réuni en un coffret de 10 CD (12 h 32' de musique !), l'intégralité des gravures, ordonnées de façon chronologique, consacrées par Olivier Vernet entre 1995 et 2011 à l'orgue classique français : de 1651 à 1792 pour être tout à fait précis (1)…
Ce concert d'ouverture de la saison 2015-2016 de « Plein Jeu à Saint-Séverin » était présenté par Gilles Cantagrel, partenaire de longue date des récitals d'Olivier Vernet et auteur de quantité de textes de présentation de ses enregistrements. Le thème en était si vaste qu'il ne pouvait que bénéficier des lumières d'un orateur dont l'art de la transmission fit une fois encore merveille : ou comment dire en termes simples mais hautement choisis une histoire riche et complexe de sorte que l'auditeur, y compris le connaisseur – et ils étaient nombreux à Saint-Séverin – puisse appréhender dans des conditions optimales les œuvres musicales proposées. Ainsi la soirée fut-elle rythmée, après une introduction à l'orgue français, par cinq interventions de Gilles Cantagrel situant les pièces, célèbres ou à découvrir, dans leur temps et le parcours de leurs auteurs.
Louis Couperin et l'imposant Prélude Oldham 46 (qu'Olivier Vernet a enregistré à deux reprises) ouvrit la partie musicale de manière saisissante, sur le grand plein-jeu de Saint-Séverin, confondant de majesté et de présence, redisant d'emblée les qualités de jeu de l'interprète : à la rigueur répond la grandeur, à la plénitude sans affectation une indéfectible lisibilité. Un équilibre idéal, sur le vif, sous-tendu d'un engagement et d'un souffle jamais pris en défaut. La pièce suivante – Grand Dialogue du Troisième Livre d'Orgue (1696) de Louis Marchand – put instrumentalement « décevoir » ceux qui la connaissent à Saint-Maximin ou à Poitiers (à condition d'oublier qu'il s'agit d'instruments beaucoup plus tardifs que l'œuvre, sensiblement plus sonores que les orgues du XVIIe finissant) : le chœur d'anches de Saint-Séverin est aux dimensions de l'édifice, loin des proportions de la basilique de la Sainte-Baume ou de la cathédrale Saint-Pierre. S'y ajoutent le choix esthétique d'Alfred Kern en 1964 et sa vision d'un orgue destiné aux répertoires français et allemand (Bach bien sûr, jusqu'à Mendelssohn et plus encore), d'où la nécessité d'anches s'intégrant au plenum, quand les anches classiques françaises (et cornets) sonnent par et pour elles-mêmes – on ne peut tout avoir. Cette puissance « contrainte », mais harmonieuse et élégante, Olivier Vernet sut l'utiliser au mieux, par l'articulation et la franchise des attaques, dans le sens de la clarté. Une fois passé le sentiment d'une projection en un sens limitée, tout ce qui relève de l'équilibre des plans sonores reprit ses droits, le Grand Siècle retrouvant sa magnificence, selon d'autres proportions.
Suivirent des pièces de Jean-Adam Guilain (de la Suite du deuxième ton, dont la Tierce en taille d'une si prenante éloquence) et de François Couperin (Offertoire de la Messe des Paroisses), en guise de transition vers l'épicentre du programme : Veni Creator de Nicolas de Grigny, hymne restituée selon la pratique du temps, avec alternance vocale – le ténor Charles Barbier, étonnamment surarticulé mais pour une projection adaptée –, versets impairs (orgue) et pairs (chantre) s'enchaînant avec une souplesse parfaite. L'ornementation a toujours été pour Olivier Vernet un domaine ne pouvant souffrir la moindre faiblesse : elle fut chez Grigny, et sur l'ensemble du programme, d'une intense élévation, aussi élaborée que « naturelle », savamment dosée et intégrée. La quintessence du style français à son apogée.
Changement de climat et d'époque avec Louis-Nicolas Clérambault : extraits de la Suite du deuxième ton (dont un sublime Récit de Nazard, d'une absolue pureté de timbre rayonnant de façon presque magique dans l'harmonieux vaisseau), puis le Noël XI de Daquin, condensé de beau chant orné et prodige de raffinement. L'ultime période abordée, au gré d'un choix de pièces subtilement pensé, permit de goûter les merveilleux et périlleux Pantins de Michel Corrette et son Offertoire « L'Éclatante » : du clavier de haut vol servi par des timbres enchanteurs. Suivirent des pages rares de Claude Balbastre : Ariette et Pastorale (Manuscrit de Versailles) et… Canonnade (Livre d'Orgue de Pontoise), pour laquelle Olivier Vernet tenait en réserve toute l'effervescence d'une sonore bataille de salon – et la bluffante énergie qu'il faut y mettre pour en faire quelque chose. Si l'élévation du Grand Siècle n'est qu'un lointain souvenir, le plaisir instrumental s'y substitue avec panache et non moins de faconde. Le double bis fut l'occasion d'un retour au temps de Louis XV, avec deux extraits transcrits des Élémens (1737 – presque l'époque du buffet de Saint-Séverin : 1745) de Jean-Féry Rebel : Loure – la Terre et l'Eau, puis l'extraordinaire Chaconne – le Feu. Tout l'orchestre classique réduit/décuplé aux claviers, ébouriffant de virtuosité et d'une musicalité en proportion, digne apothéose d'un véritable programme d'apparat. La prise de risque, source vive de l'ensemble de la soirée, s'y révéla d'une absolue et éclatante audace.
La prochaine actualité d'Olivier Vernet en concert, sur un instrument d'esprit et d'un maniement si pleinement différents, au côté de Cédric Meckler à l'orgue quatre mains et d'Isabelle et Florence Lafitte au piano, proposera une reprise de leur programme Brahms (2) – adaptations-transcriptions d'époque des deux Concertos pour piano – en clôture du Festival Toulouse les Orgues, le 18 octobre en l'église de la Dalbade.
Michel Roubinet
Paris, église Saint-Séverin, 6 octobre 2015
(1) Coffret 10 CD (enregistrements remasterisés) L'Orgue classique français, 1650-1800 – sortie le 16 octobre 2015 :
www.olivier-vernet.com/fr/discography/lorgue-classique-francais-1650-1800/
(2) www.concertclassic.com/article/22eme-printemps-des-orgues-dangers-huit-mains-pour-un-concerto-imaginaire-compte-rendu
http://www.toulouse-les-orgues.org/le-festival/programme-2015/brahms-concerto-imaginaire-pour-8-1495.html?lang=fr
Sites Internet :
Olivier Vernet
www.olivier-vernet.com/fr/
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