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Noé par le Malandain Ballet Biarritz – E la nave va … – Compte rendu
Il y a les hommes, et il y a les individus, qu’ils soient héros, prophètes, ou comme vous et moi. Tout au long de Noé, surprenante fresque animée que Thierry Malandain fait jaillir du plus profond de lui-même, l’opposition se dessine, parfois se comble, reprenant subtilement la vieille structure corps de ballet-solistes, marquant bien qu’il y a des élus, des damnés et d’humbles mortels poussés vers leurs destinées par ces moteurs séduisants ou pervers. Bien évidemment, Thierry Malandain, toujours avec sa troupe biarrote, n’a pas tenté de suivre pas à pas l’écrasante Genèse, à laquelle il emprunte quelques idées fortes pour s’élever vers une abstraction dont le caractère plastique dit combien la beauté, et en l’occurrence la beauté du geste, peut être porteuse et salvatrice.
Car elle est là, à tous les instants, cette beauté qui imprègne les attitudes, très dessinées, dès l’ouverture sur le trio de Cain, Abel et Seth, et le meurtre sacrificiel qui se répétera pour finir, après une longue avancée vers l’espoir et l’amour, car, dit Malandain, « je suis un incorrigible pessimiste, et il y a toujours quelqu’un qui va faire basculer les choses ».
Le résultat, on l’a dit, est abstrait. Et si Adam et Eve, eux très reconnaissables à leur nudité, apparaissent après Noé, c’est qu’ils renaissent à une deuxième vie, après la grande épuration du déluge. Epuration et surtout épure, d’ailleurs.
© Olivier Houeix
On est pris, surpris par cette étrange ascèse biblique, et secoués par des séquences totalement géométriques, comme sur une fresque romane, ou les danseurs font glisser leur mouvement de l’un à l’autre, en une chaîne d’identité commune, ou par des épisodes de saccades primitives. Ce n’est plus un corps de ballet, c’est un chœur de ballet, comme dans les Passions de Bach. Moments très structurés, cadrés dans une sorte d’immobilité globale, qui alternent avec des épisodes vivants, agités, voire transportés, où l’histoire s’esquisse dans ses diverses péripéties tragiques ou heureuses.
Des animaux, dans cette histoire d’hommes ? Il y en a deux, esquissés en couleurs symboliques, la blanche colombe qu’incarne la sublime Claire Lonchampt, aux lignes aussi pures qu’une aile d’oiseau, et par le noir corbeau que campe Hugo Layer, un danseur formé au CNSM de Paris et qui séduit par la rigueur de son tracé gestuel et l’ample et expressive largeur de ses bras, digne d’un dessin de Léonard de Vinci. Et il y a de belles figures, dures ou tendres, du puissant Frederick Deberdt, l’un des porte flambeaux de la compagnie, à l’élégant Noé de Mickaël Conte, sans parler du délicieux couple, Daniel Vizcayo -Patricia Velazquez, en Adam et Eve, les seuls qui soient à notre portée immédiate.
Signée Jorge Gallardo, une vague bleutée, aquatique bien évidemment, nappe la fresque. Mais il faut insister sur l’importance de la musique, qui joue un rôle majeur dans cette aventure, comme dans tout ballet d’ailleurs de Thierry Malandain. Car le chorégraphe est littéralement habité, porté par elle, et cette Messa di Gloria, de 1820 (ici dans l’enregistrement de l’Academy of St Martin in the Fields et Sir Neville Marriner) , et qui n’est pas le plus grand titre de … gloire… de Rossini, lui tient au cœur depuis une trentaine d’années.
La pièce ne laisse pas de surprendre par son caractère violemment démonstratif, agressivement romantique tout en se raccrochant à des structures traditionnelles, et on l’imagine mal sous les voûtes recueillies d’une église. Elle semble à la fois hommage et rébellion à des diktats, un peu comme ce que veut nous dire Malandain dans ce Noé où se révèle la force de ses espoirs et de ses désespoirs, dans un beau langage châtié qui dit bien sa personnalité à la fois passionnée et réservée.
Jacqueline Thuilleux
Noé (mus. Rossini / chor. T. Malandain) – Paris, Théâtre National de Chaillot, 10 mai ; prochaines représentations les 16, 17, 19, 20, 23, & 24 mai 2017. Atelier-rencontre avec le Ballet Biarritz, le 20 mai 2017 / www.theatre-chaillot.fr
Photo © Olivier Houeix
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