Journal
Eugène Onéguine à l’Opéra Bastille – Royal duo – Compte-rendu
A défaut d’applaudir à nouveau la sensationnelle relecture d’Eugène Onéguine du trublion Tcherniakov (Garnier 2008), la direction de l’Opéra de Paris a préféré reprendre la production de Willy Decker vue pour la première fois en 1995. Remontée à peu de frais, elle aura permis de faire appel à deux stars internationales, Anna Netrebko et Peter Mattei (photo), dans les rôles de Tatiana et d’Onéguine.
Si le spectacle est en place, la mise en scène ayant été conçue pour faciliter les reprises successives, la partie musicale aurait gagné en revanche à être travaillée plus en détail. La direction boiteuse d’ Edward Gardner lors de la soirée de première n’offre en effet guère de satisfaction avec ces accords incertains, ces tempi hasardeux jusque dans les parties dansées et ces soudains accès de lenteur qui plombent le final. Des imprécisions qui n’ont heureusement pas influé sur la qualité des prestations des interprètes et en premier lieu celle d’Anna Netrebko, plantureuse Tatiana.
Sans doute trop large pour traduire la jeunesse et l’évanescence du personnage, la voix de la soprano pour riche et charnue qu’elle soit, dispense tout de même de très beaux aigus filés et quelques allégements de texture qui assurent à la romanesque héroïne un mélange de fragilité et de luxe indispensable. Dans ce rôle qu’elle connaît intimement, pas de grande surprise, mais une belle incarnation où se lisent l’exaltation, la pudeur et la retenue qui conduiront Tatiana à la sagesse, après avoir reçu en réponse à sa déclaration d’amour, un glaçant camouflet de la part d’Onéguine. Plus frémissantes et moins volumineuses, Solweig Kringelborn, Galina Gorchakova et surtout la regrettée Susan Chilcott ne lui sont pas inférieures dans la « Lettre », mais la diva russo-autrichienne, d’une réelle sobriété, joue avec justesse et économie ce qui est tout à son honneur. Le contraire de Varduhi Abrahamyan, qui croit bien faire en sautant comme une gamine attardée sur les canapés en agitant ses boucles et ses bras dans tous les sens, au point de faire oublier les quelques répliques, pourtant bien écrites, d’Olga.
Dans un personnage qu’il refuse de traiter avec manichéisme et dont le mépris et la morgue ne sont jamais sujet à surenchère, Peter Mattei demeure impérial, d’une classe absolue, d’un raffinement vocal et d’une puissance stylistique hors pair. Promenant sa haute silhouette comme s’il était condamné à passer à côté des choses simples, il est bouleversant d’humanité et rend Onéguine plus complexe encore. Face à ce prestigieux aéropage, le jeune ténor Pavel Černoch n’a apparemment pas été stimulé mais plutôt été écrasé, tans son interprétation sombre dans la banalité là où l’on attend une tout autre envergure pour ce Lenski incapable de dominer sa jalousie. Elena Zaremba, Olga sur cette scène en 1998, est aujourd’hui une élégante et bien chantante Madame Larina, Hanna Schwarz une nostalgique Filipievna et Raúl Giménez un sémillant Monsieur triquet. Une mention particulière pour les chœurs – bravo à José Luis Basso ! –, divinement chantés.
François Lesueur
Tchaïkovski : Eugène Onéguine — Paris, Opéra Bastille, 16 mai, prochaines représentations les 22, 25, 28 & 31 mai, 3, 6, 11 & 14 juin 2017 / www.concertclassic.com/concert/eugene-oneguine-0
Photo © Guergana Damianova / Orchestre national de Paris
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