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Joseph Moog en concert aux Invalides - Piano vainqueur - Compte rendu
Il est ici chez lui, ce blond pianiste trentenaire d’outre-Rhin, que Christine Helfrich a invité dans le cadre de sa saison musicale, pour en marquer la complémentarité avec les expositions du Musée de l’Armée : en parallèle de l’exposition France-Allemagne, une alliance gagnante donc, avec la venue de ce virtuose qu’elle suit depuis ses premières armes. Joseph Moog (photo) avait dix-huit ans lorsqu’il donna son premier récital français aux Invalides, et pour cette fine découvreuse de talents, le souvenir ne s’est pas émoussé. Depuis, Paris l’a applaudi en récital et en concerto (1), et le retrouvera le 4 avril 2018 à l’Auditorium du Louvre pour un concert consacré aux trois sonates de Chopin.
Pour l’heure, les voûtes s’ouvraient aux grandes orgues et leurs soixante jeux, en fait le troisième instrument en place depuis la construction de la Cathédrale, sur lesquelles règne Eric Ampeau, également titulaire de celles des Billettes. Et ce concert hors normes ne fut qu’une succession de surprises, tandis que Claude Kesmaeker levait sa baguette sur son ensemble de vents, cuivres et percussions, cette Harmonie que constitue l’Orchestre de la Musique de l’Air, formation originale dont la mission est évidemment dévolue à l’accompagnement de cérémonies officielles, mais qui s’adonne aussi à d’autres plaisirs, comme celui de jouer en transcriptions de multiples pièces du répertoire symphonique. Mission réjouissante dont s’acquitte avec talent cet ensemble dont le renouvellement grâce à des membres venus des plus grands conservatoires, lui permet de figurer parmi les meilleures formations françaises, ce que l’on sait peu.
Et quelle étrangeté, donc, que de découvrir après un extrait de la Suite algérienne de Saint-Saëns, compositeur phare de la soirée, la populaire et grandiose Symphonie n° 3 avec orgue, créée à Londres en 1886, sans le velouté de ses cordes ! La transcription, du fait du chef, qui accomplit ici un travail subtil, oblige, après quelques instants de surprise, à se concentrer plus qu’à l’accoutumée, pour retrouver les oppositions de sonorités et surtout les nuances, confiées évidemment aux hautbois et aux flûtes, les seules capables de se rapprocher du son des cordes, mais sans la longueur de souffle que l’archet permet, tandis que le vent a ses limites. Habilement, ceci dit, la façon de faire glisser la mélodie d’un instrument à l’autre limite cet inconvénient, un peu comme le pratiquent les maîtres du grégorien, qui n’ont jamais l’air de respirer ! Et l’on se prenait à redécouvrir d’une oreille aiguisée, rafraîchie, ces grandes envolées auxquelles l’orgue, entrant en scène comme un voilier qui prendrait majestueusement le large, ajoutait un caractère grandiose souvent émouvant, amusant parfois aussi par son excès de vouloir.
Plus sobrement, Eric Anpeau a ensuite joué le Prélude, Fugue et variation pour orgue, opus 18, pièce d’un autre membre de cette grande tribu des tuyaux, César Franck, Puis l’orchestre s’est lancé dans le Prélude de Lohengrin, bien en situation, avant que Joseph Moog ne fasse son entrée pour le 4e Concerto de Saint-Saëns. On dit souvent luxe, calme et volupté, avec Moog c’est plutôt, vigueur, éclat et dynamisme ! Pour faire face à la force de l’orchestre, dont il n’était pas séparé par l’habituel rempart adoucissant des cordes, Moog a irradié les voûtes, à l’acoustique moins mauvaise que nombre de grandes églises, de son jeu généreux, doré, ardent : une virtuosité digne de celle d’un Duchâble, pour cette musique française d’un Saint-Saëns dont Proust vitupéra le caractère périmé, le traitant « d’homme du passé », et dont il s’inspira pour son Charlus. Après l’avoir fortement admiré dans sa jeunesse ! Romain Rolland, lui, remit les pendules à l’heure en affirmant de Saint-Saëns que « sa froideur classique fait du bien par une réaction instinctive contre les exagérations de l’art nouveau ».
Heureusement, ces conflits n’ont plus lieu d’être à ce jour, et la glorieuse énergie qui irradie un concerto conçu de façon peu classique tant tout s’y enchaîne, l’emportait sur des discordes obsolètes. Grâce à l’enthousiasme de ce jeune pianiste rayonnant, lisztien jusqu’à la moelle des os – on l’a vu dans la transcription de Tristan et Isolde, et grand amoureux également de Chopin et de Scriabine. Capable enfin de conclure en virevoltant sur le It’s wonderful de Gershwin. Certains artistes entrent en scène et en sortent comme s’ils allaient à l’échafaud. Là, c’est plutôt le tobogan. La jeunesse intacte, la joie de jouer : éclaboussant.
Jacqueline Thuilleux
(1)www.concertclassic.com/article/joseph-moog-en-recital-lauditorium-du-louvre-un-premier-recital-parisien-remarque-compte
/ www.concertclassic.com/article/joseph-moog-et-lorchestre-lamoureux-pianiste-suivre-compte-rendu
Cathédrale Saint-Louis des Invalides, le 8 juin 2017 / www.musee-armee.fr
Photo © Marc Mitchell
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