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Benjamin Bernheim en récital à L’Instant lyrique d’Éléphant Paname - Des lendemains qui chantent - Compte-rendu

On sait la difficulté que représentent les récitals dans un espace confiné, surtout quand les chanteurs concernés ont des voix d’opéra et s’y adonnent avec volupté car là est leur identité, leur plaisir, leur savoir faire, surtout enfin quand les airs d’opéra sont transcrits plus ou moins bien pour un piano. Tel est ce que tente L’Instant Lyrique, attachante série présentée par Eléphant Paname, qui s’offre dans son petit auditorium le luxe de grandes voix aussi confirmées que celle de Patrizia Ciofi (le 30 janvier prochain) ou Annick Massis et défriche aussi avec discernement parmi les jeunes pousses de l’instant.
 
Tel était le récital de Benjamin Bernheim, accompagné par Antoine Palloc. Le jeune ténor, dont le métier a été affûté à l’Opéra de Zurich, n’a déjà plus à faire ses preuves et son carnet de bal pour les mois à venir montre à quels sommets prestigieux sa voix large et claire le conduit déjà : Lenski à Berlin, Rodolfo à Dresde, Paris, Vienne et Chicago en 2017-18, les grandes maisons d’opéra s’arrachent sa vaillance, sa belle diction et l’amplitude aisée de ses aigus, magnifiées par une puissance qui explosant dans de grandes salles doit faire merveille.
  
On a donc dû décrypter, tout au long du concert, les divers éléments qui faisaient de l’ombre à ce talent incontestable, lequel va certainement s’affirmer, tant les moyens de l’artiste semblent sains. Oublier que la mélodie française, ici les trois plus belles de Duparc  (Phydilé, L’invitation au Voyage, La vie antérieure) requiert une voix plus dorée, plus poétique que cette affirmation de vigueur et de jeunesse, même si Bernheim sait habilement se couler dans cet univers intimiste. Un répertoire tout en style et en délicatesse, qui peut facilement paraître démodé et impose l’art des demi-teintes, en jouant sur du velours.
 
On a dû aussi ne garder que le phrasé délicat qu’il a su trouver pour Manon, ( « En fermant les yeux », « Ah ! fuyez»), en oubliant des aigus trop ardents pour ce cadre resserré et la fade adaptation pianistique, en lieu et place de l’orchestre mordoré de Massenet. Enfin, l’on s’est dit qu’il est vraiment difficile de doser sa puissance, en écoutant des extraits du Roméo et Juliette de Gounod dignes des Chorégies d’Orange. Potentiellement conquis par de tels moyens, on avait un sentiment de trop plein qui nuisait à la bonne compréhension de cette musicalité certaine.
 
Puis, en bis, le miracle est arrivé, avec Lohengrin, initié avec une douceur irréelle, une émotion fine et suspendue qui ont fait tomber toutes les réserves. Et pourtant le pari, là n’est pas mince. Si rares sont les ténors en France, et encore plus les ténors wagnériens ! Benjamin Bernheim en serait-il un, à condition de donner plus de corps à sa prononciation de l’allemand ? Pour finir, il a apporté une autre preuve de l’étendue de son registre expressif en attaquant avec une infinie poésie le fameux et déchirant grand air de Lenski d’Eugène Onéguine. Et la magie a opéré à plein. Même si la coupe sonore était un peu trop pleine, on avait pris la bonne mesure.
 
Jacqueline Thuilleux

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Paris, Eléphant Paname, 21 novembre 2016 / www.elephantpaname.com/fr/programmation/l-instant-lyrique-13
 
Photo © DR

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