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La Chronique de Jacques Doucelin - Mirages et enjeux de la grande bouffe culturelle

L’approche des élections présidentielles et législatives oblige : c’est l’heure des bilans et l’occasion de publier des études sur les résultats des actions entreprises par l’Etat et ses administrations durant les dernières décennies. La culture n’échappe pas à la loi du genre. A l’heure où l’ascenseur social est tragiquement bloqué par un système de castes dévastateur, qui tend à réserver l’accès aux prébendes aux seuls « fils de » comme au plus beau temps des privilèges d’Ancien Régime, où en est-on de la tarte à la crème de la démocratisation culturelle ?

C’est le moment qu’a choisi le Ministère de la Culture et de la Communication pour publier un rapport détaillé sur l’attitude des Français face à la culture entre 1973 et 2008. Pas de révolution - on s’en doutait un peu - mais plutôt une lente évolution – les pessimistes diront dégradation - où l’on perçoit le venin de la sacro-sainte consommation s’insinuant à travers les progrès de la passivité générale. Nul ne s’étonnera dès lors de l’augmentation de 10 % de ce sport national qu’est l’affalement sur canapé devant les étranges lucarnes, ni de l’inexorable baisse de la lecture, livres et journaux confondus. Si le nombre de personnes disant lire au moins un livre par an est stable, la lecture du journal a, en revanche, baissé de près de la moitié en une génération.

Alléguer la seule irruption d’Internet et la généralisation des pratiques numériques chez les plus jeunes comme seule cause de ce recul de la lecture paraît un peu court : l’effondrement de notre enseignement général comme les mauvaises conditions de logement des plus défavorisés de nos concitoyens ont sans nul doute également joué leur rôle. L’écoute de la radio a à peine diminué tandis que celle de la musique sur baladeurs a explosé. Ce qui n’a nullement empêché la fréquentation des concerts de musique vivante d’augmenter tout comme la pratique d’une activité artistique, et pas seulement musicale.

La fréquentation des salles obscures, en dépit des tentations du petit écran, est en légère augmentation comme toutes les « sorties » au demeurant. Bémol obligé : qui fréquente un tant soit peu théâtres, musées, salles de concerts ou d’opéra sait bien que la mixité sociale (des générations comme des classes) reste un leurre : ce sont toujours les mêmes que l’on croise et qui se croisent. La politique des différentes institutions – orchestres et opéras notamment - à Paris comme en région a encore de beaux jours si l’on veut trouver un substitut aux JMF d’antan pour initier toute la jeunesse aux beaux arts et fournir un public suffisamment nombreux pour alimenter la fameuse Philharmonie de Paris dont la salle de 2400 places doit toujours ouvrir à la rentrée 2014 dans le parc de la Villette.

D’autant que nous avons souvent eu l’occasion de souligner ici combien la musique dite classique ennuie le plus souvent les élites actuellement au pouvoir qui n’ont été familiarisées ni avec son écoute, ni avec sa pratique par le biais de chorales ou de petits orchestres dans les écoles de la République à l’inverse de ce qui se passe au Japon ou dans les anciens pays de l’Est de l’Europe.

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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