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Les Espaces acoustiques de Gérard Grisey par l’Ensemble Intercontemporain à la Philharmonie de Paris – Atmosphérique – Compte-rendu

 

C’est un voyage sans égal au cœur du son : le cycle des Espaces acoustiques, composé entre 1974 et 1985, est une œuvre fondatrice sinon prophétique, une leçon de musique dont aujourd’hui encore, près d’un demi-siècle après l’écriture de Périodes, la nouveauté, la capacité d’émerveillement demeurent intactes.
 

© David Blondin

 
C’est, de fait, une œuvre rare car difficile à monter : cent minutes de musique, en six pièces du solo d’alto (Prologue) au grand orchestre avec quatre cors solistes (Épilogue), portées et unifiées par la pensée musicale éblouissante de Gérard Grisey, qui enveloppe tous les paramètres du son. Il aura ainsi fallu attendre dix ans – un sublime concert dirigé par Pascal Rophé à la Cité de la musique dans une salle comble – pour réentendre Les Espaces acoustiques à Paris. Ce sont de nouveau l’Ensemble Intercontemporain et l’Orchestre du Conservatoire qui sont réunis, cette fois sous la direction de Pierre Bleuse, qui commémore ainsi le vingt-cinquième anniversaire de la disparition du compositeur. Après la création, en ouverture de saison, de Mnemosyne de James Dillon (1), le nouveau directeur musical de l’EIC confirme sa volonté de faire éclater quelque peu le format du concert en optant pour des œuvres de grande envergure, qui jouent avec la mémoire et les anticipations de l’auditeur. Au passage, l’œuvre de Grisey démontre, qu’avec un peu d’imagination, des effectifs très divers peuvent se succéder sur scène sans nécessairement se traduire par d’interminables changements de plateau : l’éclairage révèle progressivement les sept, puis dix-huit et bientôt trente-trois musiciens de Périodes, Partiels et Modulations, avant la seule brève interruption pour l’entrée de l’orchestre (Transitoires).
 

Odile Auboin © Anne-Elie Grosbois
 
Pierre Bleuse prend un plaisir manifeste à laisser éclore les timbres, à esquisser tout un théâtre d’illusions sonores. Il privilégie pour l’essentiel une lecture « atmosphérique » de l’œuvre, quitte à la laisser parfois dans le flou, en jouant de surcroît avec la belle réverbération de la Grand Salle Pierre Boulez. Cette conception se défend, dans ces Espaces acoustiques dont chaque partie glisse ou s’imbrique dans la suivante, où les motifs (mélodies, rythmes, timbres) fusent et se téléscopent. Mais c’est au détriment de la tension, de la dimension tragique, qui ici n’affleure presque jamais, ni dans le Prologue, joué avec clarté par l’altiste Odile Auboin mais un peu perdu dans l’espace immense de la salle, ni dans la course à l’abîme de l’Épilogue, malgré le bel engagement des quatre cornistes emmenés par Jean-Christophe Vervoitte.
 
Jean-Guillaume Lebrun

 

Paris, 13 octobre 2023, Philharmonie de Paris (Grande Salle Pierre Boulez).
 
 
(1) lire le compte-rendu ici : https://www.concertclassic.com/article/pierre-bleuse-dirige-james-dillon-en-creation-mondiale-lensemble-intercontemporain-cercle
 
Photo © David Blondin
 

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