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1er Concours international de direction d’orchestre La Maestra - Place aux cheffes !
Imaginé par Claire Gibault, le Concours international La Maestra a pour dessein de favoriser l’émergence de talents féminins dans le domaine de la direction d’orchestre. Beau succès pour une première édition qui a reçu 220 dossiers de candidature (51 nationalités représentées), parmi lesquels, après une drastique sélection, 12 cheffes seulement (de 21 à 47 ans) ont été admises sur la ligne de départ, le 15 septembre à la Philharmonie de Paris, pour des épreuves à la tête du Paris Mozart Orchestra (formation fondée par C. Gibault il y a une décennie). Ewa Bogusz-Moor, directrice générale de l’Orchestre Symphonique National de la Radio Polonaise de Katowice, occupait la présidence d’un jury réunissant Marin Alsop, Elisabeth Askren, Lionel Bringuier, Jean-Claude Casadesus, Claire Gibault et Maxime Pascal
Au terme de la demi-finale, trois participantes demeuraient en lice pour la dernière épreuve dans la Grande Salle Pierre Boulez : (dans l’ordre de passage) Stephanie Childress (France/Grande Bretagne, 21ans), Rebecca Tong (Indonésie/Etats-Unis, 35 ans) et Lina Gonzalez-Granados (Colombie, 34 ans).
Au terme d’une délibération relativement rapide du jury, le Premier Prix revient à Rebecca Tong (photo). De la musicalité, de la personnalité et ... un « bras » : le succès de celle qui a achevé il y a peu son master de direction d’orchestre au Conservatoire de l’Université de Cincinnati apparaît on ne peut plus légitime. La pièce contemporaine imposée (Was Beethoven African ?) de Fabio Vacchi n’est guère inoubliable mais son foisonnement – des archets aux percussions (dont un djembé) – offre un bon test de la maîtrise des candidates. Par-delà la précision de la mise en place, R. Tong manifeste une imagination sonore remarquable et imprime à l’ouvrage une sauvagerie et une dimension rituelle qui font mouche – à n’en pas douter, les Chôros de Villa-Lobos lui iront comme un gant ! Pas moins convaincant, son Divertimento de Bartók séduit par l’énergie, la souplesse, la liberté du geste – point sur lequel R. Tong surclasse ses deux concurrentes –, par sa saveur magyare aussi. Quant au Finale de l’ « Héroïque » de Beethoven, il est tenu et conduit avec une remarquable autorité, à la tête de musiciens qui donnent le meilleur d’eux-mêmes au terme d’une semaine extrêmement exigeante. Preuve supplémentaire de l'adhésion que suscite la finaliste, elle reçoit le Prix spécial du Comité des salles et orchestres français et le Prix Arte.
Stéphanie Childress, benjamine du concours (et seule des trois finalistes à diriger sans baguette), obtient le Deuxième Prix. Violoniste de formation, elle montre à à peine plus de vingt ans une maîtrise déjà remarquable. Le verdict d’un concours prend en compte l’ensemble des épreuves : l'efficacité dans le travail avec l'orchestrs que la candidate a montrée lors des éliminatoires et de la demi-finale (qualité que des oreilles avisées nous confirment) est sûrement venu compenser une finale en demi-teinte. Pris dans un tempi bien trop lent le dernier mouvement de l’ « Héroïque » rate sa cible et, si le modernisme au scalpel et l’énergie du Divertimento de Bartók ne sont pas sans retenir l’attention – quoique ce traitement fasse perdre de son parfum à la partition –, la pièce de Vacchi quelque peu à vide. 21 ans, un incontestable potentiel : laissons du temps au temps ...
A l’instar de Rebecca Tong, Lisa Gonzalez-Granados, Troisième Prix et Prix spécial du Comité ECHO (European Concert Hall Organisation), possède déjà un solide métier – elle occupe jusqu’en juin 2021 le poste d’assistante de Riccardo Muti au Chicago Symphony Orchestra. Métier, et art de la couleur, que l’on ressent dès l’ouvrage de Vacchi dont la profusion est domptée et s’accompagne d’un sens affirmé des climats. On le retrouve dans le Divertimento de Bartók, réussi bien qu’il parle moins à l’imagination que celui de R. Tong. A la différence des deux autres candidates, la Colombienne préfère terminer son épreuve par le Prélude à l’après-midi d’un faune plutôt que par le finale de l’ « Héroïque ». Elle livre une interprétation soignée de la pièce de Claude de France, mais son souci du détail lui fait par trop perdre de vue la grande respiration qui doit porter cette musique.
Absent de la finale, le nom de la Vénézuélienne Gladysmarli Vadel est toutefois présent au palmarès. Il reste encore du chemin à parcourir pour cette musicienne de 25 ans issue du Sistema, mais son enthousiasme et son amour de la musique lui valent le Prix du Paris Mozart Orchestra, une mention d’encouragement du Comité ECHO et un coup de cœur d’Arte.
Signalons enfin que les trois finalistes, comme les trois autres candidates (1) présentes en demi-finale, seront accompagnées pendant deux ans dans le cadre d’une Académie codirigée par la Philharmonie de Paris et le Paris Mozart Orchestra. On en aura une première illustation dès le 2 novembre à la Philharmonie avec un programme de l'Orchestre de Paris, confié à Rebecca Tong : au programme le Concerto pour piano n° 20 de Mozart sous les doigts de Marie-Ange Nguci et la Symphonie n°4 de Mahler avec Sabine Devieilhe. (2)
Alain Cochard
Paris, Grande Salle de la Philharmonie, 18 septembre 2020
Photo © C. d’Herouville
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