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46ème Académie Maurice Ravel de Saint-Jean-de-Luz – Transmettre et découvrir – Compte-rendu
Fréquentation en hausse de 43% pour les master classes et de 18% pour les concerts : la 46ème édition de l’Académie internationale Maurice Ravel de Saint-Jean-de-Luz se referme sur un bilan particulièrement positif. Outre ce succès public, l’année 2015 aura vu la mise en route d’un partenariat avec le Palazzetto Bru Zane. Deux aspects qu’il convient d’ailleurs de relier puisque le soutien financier du Centre de musique romantique française a permis de recréer une classe de chant à l’Académie et que, en ce domaine, les cours publics d’interprétation ont beaucoup attiré les mélomanes.
« Le public nous a suivi », se réjouit Jean-François Heisser, président de l’Académie depuis 2000. A l’évidence un cap a été franchi cette année dans la déjà longue histoire d’une institution fondée en 1967 et, avec une très forte proportion de musique française dans les programmes des cours publics et des concerts, l’Académie répond plus que jamais au dessein de J.F. Heisser lorsqu’il en a pris les rênes : «en faire un lieu où la musique française est défendue et pratiquée ; une référence pour son enseignement. »
Une académie à dimension humaine
Le succès est au rendez-vous, mais le président de l’Académie Ravel n’entend aucunement remettre en cause sa profonde singularité dans le paysage des académies de musique. Alexandre Dratwicki, directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane, salue «l’atmosphère chaleureuse, le fonctionnement très humain et le fantastique engagement des bénévoles ». Unanimement reconnue, la dimension humaine de l’Académie tient beaucoup aussi au nombre limité d’élèves, une cinquantaine, confiés à une petite équipe d’enseignants. « Les professeurs sont des amis, note Régis Pasquier, et il y a une unité de style dans la pédagogie. »
Cette année, les stagiaires se partageaient entre R. Pasquier (violon), Henri Demarquette (violoncelle), Miguel Da Silva (alto et musique de chambre), Jean-Claude Pennetier (piano), Jean-François Heisser (musique de chambre) et Mireille Delunsch (chant). S’ajoutait un compositeur invité, Thierry Escaich, avec lequel les jeunes musiciens ont eu la chance de pouvoir travailler plusieurs de ses partitions.
La musique ne vit que par ceux qui la transmettent
« J’aime rencontrer de jeunes musiciens. La musique ne vit que par ceux qui la transmettent. Il est émouvant de voir la chaîne se poursuivre … Les belles personnalités musicales auxquelles j’ai eu affaire cette année sont d’autres anneaux ajouté à cette chaîne qui traverse les siècles » : tous les professeurs de l’Académie pourraient faire leurs les paroles de J.-C. Pennetier tant la passion de la transmission est vive à l’Académie Ravel. Celle-ci « est exclusivement tournée vers les élèves, souligne H. Demarquette. Hormis un concert des professeurs, auquel certains élèves participent, tous les concerts mettent uniquement les étudiants en valeur, dans des conditions professionnelles ».
Mais avant de se présenter au public, les stagiaires accomplissent un travail approfondi dans la cadre de master classes publiques. Une formule qui « se situe entre le cours privé et le concert et permet d’imprimer plus vite les idées musicales chez l’étudiant, constate M. Da Silva. C’est sur scène que l’on apprend.» L’exercice s’avère passionnant pour l’auditoire puisqu’il « montre au public la complexité du travail accompli, sur une petite mélodie comme sur un grand air d’opéra », note M. Delunsch, enthousiasmée par sa première venue à Saint-Jean-de-Luz. « J’y suis allée sans savoir que c’était un académie aussi importante, qu’il s’agisse du niveau des élèves ou des échanges avec les autres classes. Il est passionnant de dialoguer avec les autres professeurs pour voir ce qu’ils attendent de leurs élèves.»
Piquer la curiosité des jeunes musiciens
La présence de la soprano a d’ailleurs été rendue possible grâce au partenariat (sur trois ans) noué entre l’Académie et le Palazetto Bru Zane dont l’un des objectifs prioritaires était la recréation d’une classe de chant. Mais il aura bien sûr aussi conduit à «piquer la curiosité des jeunes musiciens, remarque Alexandre Dratwicki, en les invitant tous à choisir parmi des listes d’œuvres françaises rares. » « Des ajustements restent à opérer », s’agissant en particulier du choix des partitions de la part d’étudiants qui ne disposent que de la douzaine de jours que dure l’Académie pour les monter - rareté n’est pas synonyme de facilité … – mais dès cette première année « le niveau de l’Académie a déjà largement comblé » les responsables du Palazzetto.
La curiosité du public a également été sollicitée, des habitudes d’écoute bousculées mais, à l’instar de la musique contemporaine qui a désormais pleinement trouvé sa place, le répertoire introduit par le Palazzetto Bru Zane a séduit. Jean-Claude Pennetier approuve ce choix de « montrer que la forêt musicale, à côtés des grands chênes, comporte des arbrisseaux sur lesquels il faut se pencher avec tendresse.» Miguel Da Silva s’avoue « emballé » par le répertoire du PBZ, où il y « des pépites à découvrir ». Des découvertes d’autant plus utiles, « qu’il est essentiel d’étudier les auteurs qui ont précédé Ravel. » Quant à Henri Demarquette, il se félicite de cette invitation à la curiosité : « tous les jeunes musiciens ont envie d’en découdre avec les grands opus du répertoire ; il est intéressant de leur montrer qu’il n’est pas ringard d’aborder des œuvres que l’on ne connaît pas ».
Pas ringard et hautement instructif, pour l’élève comme pour le pédagogue, amené à se positionner par rapport à des œuvres qu’il fait travailler pour la première fois. Quant à M. Delunsch, il n’était aucunement nécessaire de la convaincre. « J’ai fait mes débuts au sein d’une association qui s’appelait APPOLON (Association pour la promotion des œuvres lyriques oubliées ou négligées), rappelle-t-elle. J’étais confrontée à des œuvres pour lesquelles on ne disposait d’aucun enregistrement, Une éducation manquée de Chabrier par exemple. Il fallait tout inventer, le son, le rapport au texte, la diction, la déclamation, comprendre la place de l’œuvre dans la production de l’auteur. Il est absolument naturel pour moi de se tourner vers des œuvres françaises méconnues. »
Philippe Hattat (piano) et Natanael Ferreira (alto) © Académie Ravel
De jeunes talents à suivre de près
Comme dans toute académie, le niveau peut varier fortement entre les divers stagiaires d’une classe, à charge pour le professeur de s’adapter, « de trouver des solutions pour les uns et les autres » dit Henri Demarquette. La classe de violoncelle aura d’ailleurs offert un bon aperçu de la variété des profils puisque l’on y trouvait aussi bien une étudiante d’une quinzaine d’années qu’une violoncelliste qui, à 21 ans, fait déjà carrière : la Russe Anastasia Kobekina. Un nom dont vous réentendrez sûrement parler…
Cette diversité se reflète évidemment aussi dans les concerts de fin session des étudiants où - c’est la règle - des interprétations encore imparfaites en côtoient d’autres, franchement enthousiasmantes (dans des œuvres qui prouvent que l’Académie n’oublie pas le grand répertoire).
Au sommet de celles-ci on placera le 2ème Quatuor pour piano et cordes op. 45 de Fauré par François Pineau-Benois (violon), Natanael Ferreira (alto), Anastasia Kobekina (violoncelle) et Philippe Hattat (piano) (photo). Portés par la musicalité du jeu, aussi remarquable d’assise que de dynamisme et de couleur, d’un pianiste qui fréquente l’Académie depuis 2012, les archets donnent le meilleur d’eux-mêmes ; tous livrent une interprétation gorgée de lyrisme et de sève. Etonnant parcours que celui du Brésilien Natanael Ferreira, qui a appris l’alto en autodidacte avant de devenir élève de Miguel Da Silva à la Haute Ecole de Musique de Genève. Un talent à suivre de près ! Comme celui de Philippe Hattat, que l’on a par ailleurs entendu aux côtés de François Pineau-Benois dans une très vivante Sonate pour violon et piano de Debussy.
De Thierry Escaich, Hector Burgan (violon), Augustin Guénand (violoncelle) et Shun Irokawa (piano) ont donné des Lettres mêlées aussi précises que suggestives – chapeau à S. Irokawa, l’un des pianistes accompagnateurs de l’Académie, pour sa pugnacité rythmique et son sens des climats !
Le violon d’Hector Burgan a aussi eu l’occasion de se distinguer dans une Chaconne BWV 1004 de Bach sensible et épurée. Côté violoncelle, le bonheur fut grand d’entendre Anastasia Kobekina, touchée par la grâce dans quelques unes des Variations Rococo de Tchaïkovski, avec Julien Le Pape très complice au piano. A un degré de maturité moindre, la plénitude et l’élan d’Antoine Gramont dans des extraits de la Suite en ut BWV 1009 de Bach ont fait mouche. Tout comme, chez les pianistes, l’intensité d’Eloïse Bella Kohn dans la Sonate op. 1 de Berg, la poésie Mylène Berg dans les Opus 118 nos 1 et 2 de Brahms ou de Joseph Birnbaum dans Une barque sur l’océan de Ravel et le sens narratif de Natasha Roque-Alsina dans la Fantaisie op. 49 de Chopin.
Du côté de la classe de musique chambre, on a remarqué le bel engagement de Ryo Kojima (violon), Marion Oudin (violoncelle) et Jodyline Gallavardin dans le Trio op. 34 de Cécile Chaminade. Le résultat dans cette rareté amenée par le Palazzetto était encore très « vert », mais il ne faut pas oublier que interprètes n’ont commencé à étudier l’œuvre qu’avec le démarrage de l’Académie. Dans ces conditions, on ne peut que saluer leur prestation, tout comme celle du Quatuor Akilone dans les 1er et 3ème mouvements de l’exigeant Quatuor op. 56 de George Onslow. Dans des répertoire plus familiers, l’ardeur du Quatuor Sincronie a été remarquée dans l’Assai agitato du Quatuor op. 41 n° 3 de Schumann. Le Quatuor Manfredi a en revanche donné l’intégralité de l’Opus 18 n° 2 de Beethoven : jeu d’une grande finesse mais à notre sens trop sage sous des archets de vingt et quelques années seulement. Egalement présent à l’Académie, le Trio Medici a signé deux mouvements (Largo et Allegretto) plein de caractère du Trio op. 67 de Chostakovitch.
Dans le domaine vocal, notre bref séjour à Saint-Jean-de-Luz ne nous a pas permis d’entendre la mezzo britannique Grace Durham (elle interprétait Visions nocturnes de T. Escaich, le 10 septembre, à Saint-Pée-sur-Nivelle), qui se partage avec Ryo Kojima, Natanael Ferreira et Anastasia Kobekina le Prix de l’Académie Ravel 2015 (1), mais des oreilles de confiance nous assurent que cette récompense est pleinement justifiée. On a en revanche découvert avec bonheur Louison Baudon (sop.) alternant avec maestria chant et voix parlée dans les étonnantes Thesmophories de Claude Pichaureau, avec S. Irakawa au clavier, mais aussi, tous trois accompagnés par Philippe Biros, fidèle chef de chant de l’Académie, Alexandre Artemenko (baryt.) dans l’air de Ralph (La Jolie Fille de Perth/Bizet), défendu avec une grande présence scénique, Agathe Peyrat, drôle et lumineuse dans le « Non, je ne veux pas chanter » du Billet de loterie de Nicolas Isouard et Julie Alcaraz dans l’air « Alma grande et nobil core » de Mozart qui aura montré une facette du talent d’une musicienne complète. On la retrouvera à Paris le 27 septembre … au piano dans des œuvres de Scarlatti, Chopin, Debussy, Albéniz et Granados ! (2)
Un Concours Maurice Ravel
Fort du bel élan pris cette année, l’édition 2016 de l’Académie se place sous les meilleurs auspices. Quant à un avenir un peu plus lointain - 2017 ou 2018 -, il devrait être marqué par la concrétisation du projet de Concours Ravel que caresse depuis longtemps Jean-François Heisser et qu’il souhaite réaliser en collaboration avec le Festival Musique en Côte Basque, manifestation avec laquelle l’Académie a déjà collaboré pour l’organisation de certains concerts. Quel bel hommage à l'auteur des Miroirs constituerait l’installation une telle compétition dans une région natale à laquelle l’enfant de Ciboure était profondément attaché.
Alain Cochard
(1)Voir la liste complète des lauréats de la 46ème Académie Internationale de Musique Maurice Ravel : academie-ravel.com/saison/session-de-septembre/palmares-2013
(2) www.concertsdesther.fr/concerts.cfm?CFID=96015786&CFTOKEN=35970341
Saint-Jean-de-Luz, Auditorium Maurice Ravel, 11 et 12 septembre 2015
Photo (de g. à dr. ) François Pineau-Benois, Philippe Hattat, Natanael Ferreira, Anastasia Kobekina © Académie Ravel
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