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6ème Midsummer Festival d’Hardelot – Rodolphe Lavello retrouvé – Compte-rendu
Les travaux vont bon train en ce moment au Château d’Hardelot et toutes les conditions sont réunies pour que ce qui constituera le premier théâtre permanent élisabethain en France soit comme prévu achevé en octobre prochain, avant une mise en service au printemps 2016. L’état d’avancement du chantier permet déjà de se faire une idée précise du bâtiment de 388 places conçu par l’architecte Andrew Todd pour le compte du Conseil Général du Pas-de-Calais, de la manière dont il saura harmonieusement s’intégrer à l’espace occupé par le château et son parc, et surtout des potentialités offertes par un tel équipement culturel (où une fosse pouvant contenir une petite trentaine de musiciens est prévue). Sébastien Mahieuxe, directeur artistique du Midsummer Festival d’Hardelot, et son équipe piaffent d’impatience de disposer de ce nouveau lieu. Parvenue à sa 6ème édition, la manifestation investissait donc pour la dernière fois cette année son théâtre éphémère.
Le futur Théâtre élisabethain d'Hardelot © Andrew Todd
« Tea Time » musical à 16h : on a rendez-vous avec Paul O’Dette pour un beau bouquet de pièces choisies parmi les 242 que renferme le Lord Herbert of Cherbury’s Lute Book. Avec simplicité et souriante bonhommie, le maître luthiste américain alterne une heure durant entre auteurs français et anglais. De l’anonyme En me revenant jusqu’à Une jeune fillette de Daniel Bachelar, l’un des derniers compositeurs luthistes d’outre-Manche, O’Dette sait capter l’attention de son auditoire et l’entraîner dans un univers subtil, tendre, enjoué, humoristique parfois aussi, sous les signatures de Jacques Gautier, Luc Despond, Jacob Polonois, Robert Johnson ou Cuthbert Hely.
Paul O'Dette © Jennifer Girard
Le rendez-vous du soir est quant à lui dédié à une complète redécouverte : Marie Stuart de Rodolphe Lavello. Un colloque sur l’influence anglaise dans la musique française organisé il y a deux ans à Hardelot par le Palazetto Bru Zane, aura été à l’origine de l’exhumation, par les soins d’Alexandre et Benoît Dratwicki, de cette partition oubliée depuis 1895.
Les histoires de la musique ne disent rien de Rodolphe Lavello. On sait toutefois qu’il naquit à Naples le 12 novembre 1842 et décéda à Paris le 26 janvier 1914 (1). Par quel hasard Lavello fut-il conduit à dédier une Grand’messe en musique à Isabelle II d’Espagne dans les années 1870, on ne le sait, mais le manuscrit (2) porte à côté du nom du compositeur la mention « Lauréat du Conservatoire Impérial de musique de Paris, auteur de Le Bohémien opéra comique en un acte.». De fait, l’opéra-comique semble avoir pas mal occupé Lavello. Dans cette catégorie, on trouve en effet mention d’ouvrages tels que Partie carrée (Paris, Opéra Comique, 23 juin 1884), Le Mariage de Marcelle (1897) ou Françonette (Vichy, juillet 1897).
En 1895 l’auteur s’était donc essayé à un genre différent avec Marie Stuart, « drame lyrique », sur un poème de Julien Goujon inspiré de la pièce de Schiller, et le Théâtre municipal des Arts de Rouen en avait eu la primeur au mois de novembre.
Cinq actes, dix personnages, chœur, ballet de rigueur au II : Lavello a fait les choses en grand et c’est un condensé (seulement six personnages, une heure et demie de musique au lieu de trois, une action focalisé sur l’opposition entre Elisabeth et la prisonnière de Fotheringhay) qui est proposé en version de concert à Hardelot, avec un accompagnement de quatuor avec piano, élaboré par A. Dratwicki et confié au Quatuor Giardini.
Une solution parfaite pour faire connaissance avec une partition qui ne relève certes pas du chef-d’œuvre – les artisans de sa résurrection n’ont d’ailleurs aucunement cherché à la présenter comme telle – mais renseigne sur une certaine quotidienneté de la vie lyrique en France à la toute fin du 19ème siècle. Les chanteurs et les musiciens réunis à Hardelot (photo) sont en tout cas pris au jeu et ont su embarquer le public dans un mélo lyrique aux sentiments et aux effets certes un peu outrés parfois, mais servis par une musique non dénuée de qualités et dont la surabondance mélodique lorgne souvent du côté de Gounod.
Virginie Pochon signe une incarnation très vécue et émouvante du rôle-titre, face à l’Elisabeth de Katia Vellétaz, qui trouve la distance requise par son personnage même si l’on pourrait rêver de plus de sévérité dans son approche. Au service de la reine captive, Aurore Ugolin apporte autant de sensibilité et de douceur au personnage d’Anna que Mathias Vidal d’ardeur et d’engagement à celui du fidèle Mortimer. Passé dans le camp d’Elisabeth, Leicester conserve des sentiments très forts pour Marie et ce personnage est sûrement l’un des plus fouillés de l’ouvrage : Thomas Dolié en saisit les enjeux avec beaucoup d’intelligence, tout comme Alain Buet pour un Lord Burleigh d’une prestance et d’une noblesse remarquables. Un très beau travail d’équipe, dans lequel il faut évidemment inclure l’accompagnement soigné et engagé du Quatuor Giardini. Pas un temps mort au cours d’une soirée qui s’achève sur un très beau succès public.
Qui s’achève, enfin presque… On a en effet encore la possibilité d’assister à « L’After » au Jardin d’hiver, dont le cadre intimiste accueille un programme français d’une heure environ. Membres du Quatuor Giardini, Pascal Monlong (violon), Pauline Buett (violoncelle) et David Violi (piano) proposent des pages instrumentales de Dubois, Hahn, ou Félicien David, tandis que Thomas Dolié interprète Soir de Gounod et A Chloris de Hahn. On déguste ces morceaux défendus avec chic et entrecoupés par de brefs et savoureux textes de Berlioz, Castil-Blaze ou Rousseau dits avec beaucoup d’humour par Benoît et Alexandre Dratwicki.
Alain Cochard
(1) http://genealogie.brunello.fr/individual.php?pid=I307&ged=Marc_Brunello.ged
(2) http://realbiblioteca.patrimonionacional.es/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=79535
6ème Midsummer Festival, Château d’Hardelot, Théâtre éphémère, Jardin d’hiver, 4 juillet 2015
Photo (les interprètes de Marie Stuart) © Pascal Brunet
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