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Adriana Lecouvreur à l’Opéra Bastille - Anna fait sa grosse voix – Compte-rendu
Soumis à bien des facteurs, psychologiques, métaboliques, familiaux, environnementaux, la voix est l’instrument le plus fragile et le plus résistant qui soit. Celui bien connu d’Anna Netrebko (photo) est l’un de ceux qui a le plus évolué en quinze ans. Hier encore léger et plutôt joliment apparié à des rôles tels qu’Adina, Violetta ou Elvira, il s’est en quelques années transformé au point de permettre à la cantatrice d’aborder des rôles dans lesquels on ne l’aurait jamais imaginée si vite. Aida, Lady Macbeth, Turandot et Abigaille font aujourd’hui partie de son répertoire, ce qui en soit n’est pas incongru, cette progression « naturelle » n’étant pas rare chez les chanteuses.
Ce qui surprend en revanche à l’écoute de sa récente Elisabetta (Don Carlo à Milan) et de cette Adriana Lecouvreur spécialement reprise pour elle sur la scène de l’Opéra Bastille après l’annulation des représentations prévues en 2019, c’est l’étrange évolution que subit sa voix. Le timbre de Netrebko a perdu en vaillance, en luminosité, en projection, l’aigu – certes il y en a peu dans cet opéra de Cilea – est sensiblement plus contraint, au profit d’une organe démesurément large et ouvert dans le medium et plus encore dans le bas medium et le grave, qui se confond avec celui d’une mezzo voire d’un contralto. Jusque là la gestion de cette mutation vocale était audible et semblait maîtrisée ; aujourd’hui la soprano peine à contrôler cet alourdissement et ce grossissement du registre qui la font sœur vocale de la Principessa di Bouillon, ce qui déséquilibre la répartition des rôles et les rapports de force entre les personnages voulu par Cilea.
© Sébastien Mathé - OnP
L’entrée d’Adriana, sa confrontation avec sa rivale et la mort de l’héroïne, théâtrale en diable, où le parlé-chanté doit se faire subtil, en prend ainsi un coup, la cantatrice offrant au public une voix plus proche de celle d’Erda que d’Adriana. Sans que l’on sache trop comment, Netrebko parvient toutefois (mais au prix d’harmoniques douteuses) à alléger cette masse là où la ligne mélodique demande à s’étirer et à s’amenuiser sur les fameux aigus filés qui ont fait le succès de l’œuvre. Mais avec un tel instrument elle passe à côté du personnage, de ses colères, de ses douleurs comme de sa passion qui demeurent uniformément tièdes sans qu’à aucun moment l’artiste ne réponde aux exigences d’un rôle taillé sur mesure pour des chanteuses aux moyens peut-être plus modestes, mais bien plus aptes à traduire les éclats d’une tragédienne.
Dans ce spectacle – signé David McVicar – aux décors opulents mais sans réelle surprise scénique Anna Netrebko malgré un tonnerre d’applaudissements aux saluts, propose un service minimum – au moins Svetla Vassileva proposait-elle un portrait défendu avec une autre conviction en 2015, sans parler d’Angela Gheorghiu diva jusqu’au bout des ongles – qui rend plus précieux encore le souvenir laissé avant elle sur ce même plateau par Mirella Freni en 1993 dans la mise en scène de Jean-Luc Boutté.
Comme la plupart du temps la star chante aux côtés de son mari, le ténor Yusif Eyvazov qui, pour une fois, a troqué les décibels pour une certaine sobriété vocale, mais sans faire oublier la séduisante prestation de Brian Jagde en concert au TCE en décembre dernier. Ekaterina Semenchuk se fait bien évidemment voler la vedette par sa consœur dans un rôle qui lui va pourtant encore plutôt bien, celui de la Principessa di Bouillon, alors qu’Ambrogio Maestri n’est plus que l’ombre de lui-même en Michonnet, voix anémiée et jeu inexistant. Les comprimari souffrent d’un décor sans fond qui happe les voix et de la direction atone, sans relief et sans théâtre de Jader Bignamini, qui ne fait que renforcer le sentiment général d’une soirée de routine.
François Lesueur
Cilea : Adriana Lecouvreur – Paris, Opéra Bastille, 19 janvier ; prochaines représentations les 22, 25, 28, 31 janvier, 4 février et 7 février 2024 // www.operadeparis.fr/saison-23-24/opera/adriana-lecouvreur
Photo © Sébastien Mathé - OnP
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