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Une interview Golda Schultz, soprano – « Nous devons aimer nos rôles sans être pour autant dans la compétition »

Soprano de son état, née en Afrique du sud, plus précisément au Cap, la capitale provinciale du Cap-Occidental, en 1983, Golda Schultz aurait pu devenir journaliste. C’est finalement vers la musique qu’elle s’est orientée, intégrant l’Université de Cape Town avant de partir aux Etats-Unis pour rejoindre la célèbre Juilliard School. En 2011 elle remporte une place à l’Opéra Studio de l’Opéra de Munich où sa carrière va rapidement se développer. Aujourd’hui appelée par les plus grandes scènes d’Europe et d’ailleurs, la cantatrice multiplie se apparitions, son instrument souple et délié s’accordant aussi bien à Mozart (Pamina, Contessa, Fiordiligi, Donna Anna..) et Strauss (Sophie) qu’à Verdi, Donizetti, Bizet ou Stravinski.
Paris, qui l’a déjà applaudie en Micaela et en Ann Trulove, pourra la retrouver prochaînement au Théâtre des Champs-Elysées (1), où elle incarnera Agathe dans une version de concert du Freischütz de Weber dirigée par Antonello Manacorda, aux côtés de Charles Castronovo et de Kyle Ketelsen (30 avril). Quant à l’été prochain, le Festival d’Aix (2) attend Golda Schultz en Donna Anna dans le Don Giovanni mis en scène par Robert Icke et dirigé par Simon Rattle (du 4 au 18 juillet) Entre deux répétions de Die Zauberflöte au Met, elle a répondu avec la plus grande amabilité à nos questions.
Vous avez chanté Micaela à la Bastille en 2022, Ann Trulove (The Rake’s progress) au Palais Garnier en novembre dernier et vous êtes attendue au Théâtre des Champs-Elysées pour Der Freischütz de Weber. La salle où vous vous produisez peut-elle avoir une influence sur votre interprétation ? Et y-a-t-il des lieux que vous redoutez, ou au contraire que vous chérissez ?
(Rires)… Oui, je crois qu’il existe des salles qui possèdent une énergie particulière dont on ressent les ondes, ou les vibrations. Cela peut être très positif. Je me souviens que lorsque j’étais plus jeune, j’étais obsédée par les artistes du passé qui avaient foulé les planches de certains théâtres dans lesquels je devais chanter à mon tour ; cette pensée pouvait être paralysante et avoir pour conséquence que je décide de tout arrêter pour ne pas entrer en concurrence ! Cette sensation a heureusement disparu avec les années et je me force désormais à me concentrer sur le public qui est là, qui s’est déplacé pour assister à un bon moment de musique. Cela me rassure, j’essaie d’être en connexion avec les auditeurs car j’ai conscience qu’ils ont payé, souvent cher, pour venir nous écouter et vivre une expérience que l’on espère inoubliable. Je prends cela très au sérieux et veux que cela soit aussi fort pour eux que pour moi ; je chéris et respecte mon public car il se déplace pour passer un bon moment et il est de mon devoir qu’il reparte satisfait. Je cherche à ce que nous passions mes collègues, les musiciens de l’orchestre, le chef, le public et moi, une soirée mémorable. J’ai éprouvé ce sentiment de partage lors de ma venue à l’Opéra Bastille. Je suis rarement effrayée car je sais que les ondes seront bonnes si l’on donne le maximum, car cela se ressent dans la salle.

© Vittorio Greco
« En concert l’espace n’est pas le même que sur scène, mais ce qui est intéressant c’est d’aller chercher le public en se donnant à lui d’une autre manière. »
Pour votre troisième rendez-vous parisien, vous donnerez une version de concert du célèbre opéra de Weber. Est-il plus frustrant pour un artiste de livrer une performance lyrique sans la jouer et notamment lorsque celle-ci n’est proposée qu’une fois?
Ahahahahaha ! Merci de me poser cette question. Non pour moi il n’y a pas de frustration, il s’agit seulement d’une autre énergie à trouver et à livrer. En concert l’espace n’est pas le même que sur scène, mais ce qui est intéressant c’est d’aller chercher le public en se donnant à lui d’une autre manière ; nous devons avoir plus d’imagination, redoubler d’intensité car le public n’a que nous, plus de décor, d’accessoire ou de vidéo. Lorsque je suis en concert je fais encore plus attention aux mots et à la poésie des textes, j’utilise tout ce qui est en mon pouvoir pour intensifier la performance. C’est différent, bien sûr, mais si on s’en donne la peine, le public ne souffre pas d’un manque en concert, il peut même trouver des beautés qui ne se présenteront pas à lui à l’opéra.
« C’est un cadeau que de pouvoir retrouver Agathe. »

Antonello Manacorda © Nicolaj Lund
Où situez-vous le rôle d’Agathe dans le répertoire que vous construisez depuis vos débuts et où alternent Mozart, Strauss, Haendel, Puccini, Verdi, Donizetti et quelques opéras français ?
Oh mon Dieu, tous ces compositeurs mis ensemble, cela me semble fou ! J’ai beaucoup chanté Mozart et Strauss pour la ligne et la luminosité que leurs partitions demandent. Regardez la Sophie du Rosenkavalier, la brillance, la pureté de son registre. La musique de Mozart m’a conduite tout naturellement à celle de Strauss, étape qui a précédé Liu dont le lyrisme m’a encouragé à aborder Agathe, qui a en quelque sorte « profité » de ces expériences. Agathe et plus largement l’écriture « romantique » de Weber qui fait le lien avec la musique classique de Haydn et Beethoven, annonce une nouvelle voie qui débouchera sur le vérisme. La tessiture d’Agathe et plus encore ce qu’elle chante, me permet de mettre en avant mon agilité, de montrer des facettes différentes de ma voix et de mon interprétation obtenues au contact d’Ann Trulove et même d’Adina. C’est un cadeau que de pouvoir retrouver Agathe.
Quelles sont les caractéristiques, les difficultés et les atouts de cette œuvre et de ce personnage que vous avez déjà chanté sur scène notamment en 2021 à Munich, avec Kyle Ketelsen, dirigée par Antonello Manacorda dans mise en scène de Dimitri Tcherniakov et venez de jouer au Semperoper de Dresde en février dernier ?
Je crois que le fait de l’avoir joué dans plusieurs productions très différentes et surtout en Allemagne dont le public connait très bien l’œuvre de Weber, est une chance. Le style est particulier et il faut respecter cette tradition, ce folklore toujours très présent dans la culture germanique. La Nature, le passage entre le réel et le surnaturel, ce qui est au-delà, est très intéressant, c’est ce qui donne d’ailleurs en partie son caractère à Agathe qui est l’archétype de la jeune vierge qui se dirige du connu vers l’inconnu, celle qui sait des choses, les ressent, mais ne sait pas toujours comment les expliquer. L’air « Leise, leise » commence d’ailleurs dans le calme avant de changer en un instant et de se terminer sur une cabalette que nul n’attendait. La musique est folle car on ne sait pas ce qui va se passer dans la scène qui suit et ce voyage est fantastique, la musique vraiment spectaculaire. Je suis impatiente de voir comment le public parisien va réagir.

« Les artistes qui nous ont précédés peuvent nous aider à gravir une partie de la montagne, mais c’est à nous seuls de faire la seconde. »
Longtemps la Maréchale était l’apanage de Schwarzkopf, Arabella celui de Della Casa, L’impératrice celui de Rysanek et Agathe celui de Grümmer. Peut-on, selon vous, chanter ce rôle sans avoir entendue l’une de ses interprétations ?
Oh… je suis une de celles qui écoute toutes les versions possibles, car j’aime savoir de quelle manière ces grandes artistes du passé ont chanté, interprété et parfois su résoudre des difficultés techniques. Les portraits d’Agathe par Elisabeth Grümmer sont passionnants et lorsque j’ai abordé le rôle la première fois, ils m’ont servi de modèles ; mais attention je n’ai pas essayé de copier Grümmer, je me suis inspiré de son approche, car il serait ridicule de copier un grand chanteur, ce ne serait pas respectueux. Les artistes qui nous ont précédés peuvent nous aider à gravir une partie de la montagne, mais c’est à nous seuls de faire la seconde. C’est un peu comme ça que la musique se perpétue et traverse le temps. Ce serait pareil avec Traviata et l’une de ses plus belles interprètes d’aujourd’hui, je veux parler d’Ermonela Jaho. Sa voix et ses possibilités n’appartiennent qu’à elle. Nous devons aimer nos rôles sans être pour autant dans la compétition, être capables de nous inspirer mutuellement ; c’est même un luxe de pouvoir écouter tous ces disques et de voir toutes ces vidéos.
Un mot sur votre rendez-vous estival français, puisque vous devez chanter Donna Anna à Aix-en-Provence : quelles différences y-a-t-il lorsque l’on travaille en été dans une ville où la musique tient une place unique ?
Aix est vraiment un endroit extraordinaire et je suis très excitée d’y aller cette année. Les festivals d’été sont pour la plupart des lieux décontractés où l’on a plus de temps, même si nous avons des échéances. Faire de la musique dans ces conditions me rappellent toujours des souvenirs où j’étais encore étudiante. J’adore ces moments où l’on va répéter, puis une fois la séance terminée on peut aller se baigner, ou se reposer, avant de retourner travailler : le temps a une autre forme. Nous sommes plus détendus et les informations entrent plus profondément dans nos cerveaux. Si ma saison a été longue et fatigante, j’ai alors besoin de prendre des vacances après avoir participé à un festival. Mais si mon planning a été équilibré il ne m’est pas nécessaire de faire un long break : en revanche j’ai besoin de voir ma famille, de partager avec elle d’indispensables moments. Ma famille est la raison pour laquelle je travaille dur depuis de longues années et je suis heureuse de pouvoir la retrouver car elle me supporte depuis le début et il est essentiel que je la voie. J’y suis très attachée.
Propos recueillis le 26 mars 2025 (par téléphone) et traduits de l’anglais par François Lesueur

> Les prochains concerts de soprano en Ile-de-France <
(1) www.theatrechampselysees.fr/saison-2024-2025/opera-en-concert-et-oratorio/le-freischutz-1
(2) festival-aix.com/programmation/opera/don-giovanni-0
Photo © DR
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