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​Gypsy de Jule Styne à la Philharmonie de Paris – Changement d’herbage réjouit les veaux – Compte rendu

 

Ailleurs, l’herbe est plus verte, c’est bien connu, et les brebis mélomanes ont parfois besoin d’aller brouter dans un autre pré pour redécouvrir le plaisir des pâturages. Du reste, ce n’est pas la première fois qu’une version semi-scénique, comme celle de la comédie musicale Gypsy que propose la Philharmonie de Paris, ou même une version de concert, procure à l’amateur de bien plus riches émotions que les productions incluant tous les éléments devant contribuer à son plaisir. Le spectacle coproduit par plusieurs institutions (il a été créé en février à l’Opéra de Nancy) se déroule essentiellement autour de l’orchestre qui occupe le centre du plateau, encadré par des podiums, des passages et des escaliers sur lesquels les chanteurs se déploient. Pas de décor, mais un fond noir, les jeux d’éclairage et des « cartons » comme dans les films muets suffisent à indiquer les lieux.
 

© Mathias Benguigui – Pasco and Co
 
 
De cette contrainte, Laurent Pelly a su tirer de quoi stimuler son imagination, et il signe ici, avec le chorégraphe Lionel Hoche, une vraie réussite qui en laisse espérer bien d’autres dans le domaine du musical, même si c’est avec les mêmes limitations par rapport à une version « complète ». Même les costumes, dont le metteur en scène est également concepteur, sont d’une grande sobriété : tous noirs, sauf pour Rose, cette mère tyrannique de deux filles qu’elle veut à tout prix lancer sur les scènes, selon une histoire inspirée du parcours de Gypsy Rose Lee (1911-1970), artiste américaine de burlesque. Madame Rose est donc tout de rouge vêtue, mais autour d’elle, tout le monde est en costume noir, sauf sa fille June dont elle veut faire une star, une sorte de « Baby Jane » éternellement âgée de 9 ans. Avec sa complice habituelle Agathe Mélinand, Laurent Pelly a traduit les textes parlés, adapté le livret pour cette première française, les lyrics de Stephen Sondheim, truffés de jeux de mots difficilement traduisibles restant chantés en anglais. Excellente formule, qui était aussi celle de Company (1),  créé le mois dernier à l’Opéra de Massy et promis à une tournée comptant de nombreuses étapes.
 
 

Gareth Valentine © DR

 
Sous la baguette d’un spécialiste du genre, le Britannique Gareth Valentine, qui a jadis collaboré avec Sondheim en personne et que l’on a pu applaudir plusieurs fois au Châtelet, l’Orchestre de chambre de Paris s’ébroue avec fougue dans une prairie qu’il semble foulait depuis toujours, tant il restitue avec éclat la partition composée en 1959 par Jule Styne (1905-1994), surtout connu pour Funny Girl qui, en 1964, fit démarrer la carrière de Barbra Streisand, les ballets de Gypsy ayant été mis en musique par John Kander.
 

© Mathias Benguigui – Pasco and Co
 
 
La distribution, elle, se compose en majeure partie d’artistes pour qui la comédie musicale est leur pâture ordinaire et qui ont l’habitude de chanter en anglais. Signalons la participation impeccable de six membres de la Maîtrise populaire de l’Opéra Comique (plus précisément, deux fois six membres, puisqu’il y a deux équipes en alternance) qui incarnent, dans les premières scènes, les deux filles de Madame Rose et les quatre boys qui les accompagnent. Parmi les quatorze artistes qui se partagent tous les rôles, deux s’imposent évidemment à l’attention : Natalie Dessay et sa fille Neïma Naouri, en Rose et sa fille Louise. Pour Neïma Naouri, le musical est son pré carré : on a pu l’applaudir à Paris dans Le Forum en folie, et elle était tout récemment l’une des protagonistes de Company mentionné plus haut. Gypsy lui offre un rôle de tout premier plan, où elle ne manque pas de briller dans tous les registres, dans les moments d’émotion comme dans ceux où la timide Louise se métamorphose en strip-teaseuse star.
 
Quant à Natalie Dessay, ce n’est pas tout à fait la première fois qu’elle se laisse tenter par l’herbe tendre de la comédie musicale : on se rappelle notamment sa participation à la version scénique des Parapluies de Cherbourg, mais elle porte ici le spectacle en partie sur ses épaules, dans ce rôle qui, dit-on, est un peu le roi Lear du musical. Elle offre à cette mère ogresse toutes les facettes de son talent, et remporte dans ce rôle un triomphe mérité, qui laisse espérer d’autres interprétations à l’avenir. Qui montera pour elle Sunset Boulevard d’Andrew Lloyd Webber ?
 
Laurent Bury
 

(1) www.concertclassic.com/article/company-de-stephen-sondheim-lopera-de-massy-bobby-dans-tous-ses-etats-compte-rendu
 

Jule Styne : Gypsy Paris, Philharmonie, mercredi 16 avril, ; prochains représentations les 17, 18 & 19 avril 2025 // philharmoniedeparis.fr/fr/activite/spectacle/27184-gypsy

Le spectacle sera ensuite donné au Théâtre de la Ville de Luxembourg, au Théâtre de Caen et à l’Opéra de Reims
 
Photo © Mathias Benguigui – Pasco and Co

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