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András Schiff interprète le Clavier bien tempéré au Théâtre des Champs-Elysées et à la Philharmonie de Paris / Piano **** – Le chemin du cœur – Compte-rendu
Deux décennies séparent les deux livres du Clavier bien tempéré (1722 et 1744). Dans les deux cas, l’objectif est triple et il reste le même : musical, didactique et théorique. L’organisation est identique : un prélude suivi d’une fugue dans chacun des 12 demi-tons de la gamme chromatique. Mais il existe aussi de notables différences : dans le Livre II, les préludes sont souvent plus longs, 10 sont de forme binaire avec reprise ; l’écriture est plus complexe et plus polyphonique ; enfin le niveau technique est plus exigeant.
La technique, justement, parlons-en ! Ou plutôt n’en parlons pas ! Envolée, disparue, insoupçonnable sous les doigts d’András Schiff. Tout semble aller de soi, sans contrainte, y compris la prouesse de jouer sans partition les deux recueils et d’une seule traite à chaque fois (1h50 pour le 1er Livre et 2h15 pour le second).
Grâce à András Schiff, ce n’est pas seulement la science de la composition et l’art du contrepoint de Bach qui se révèlent à nous. Les préludes et fugues deviennent autant de leçons de rhétorique et tous les sentiments et affects exprimés par le pianiste sont fidèlement traduits par le grand Steinway qui sonne finalement aussi bien au TCE (à l’acoustique plus intime) que dans la salle Boulez. Ainsi, le Bach du Clavier bien tempéré se dévoile à nous sous des jours fort contrastés : martial, tendre, espiègle, méditatif, enflammé, insouciant ou sage. Mais le discours musical d’András Schiff nous réserve encore bien d’autres surprises, car sous ses doigts chaque pièce n’est pas uniformément et définitivement caractérisée. La fugue 11 du 2e Livre commence légèrement, presque de manière enfantine avant de gagner en hardiesse et en sérieux ; la détermination du début du prélude 7 du 1er Livre fait ensuite place au recueillement. Quant à la fugue 7 du 2e Livre, l’esprit conquérant s’efface insensiblement au profit d’un climat d’une grande douceur. Seuls un toucher parfait et une compréhension admirable de l’œuvre rendent ce prodige possible.
Evidemment András Schiff s’inspire du caractère de chaque pièce pour sculpter la matière sonore. Fugues dans le stilo antico ou s’inspirant de danses, préludes en forme de mouvement perpétuel, de sonate en trio ou à la manière d’une pastorale, sont mis en lumière par un parler clair, une discrète articulation et un cantabile confondant de beauté. A l’écoute d’András Schiff, on pense évidemment à François Couperin : « J'avoüeray de bonne foy, que j'ayme beaucoup mieux ce qui me touche, que ce qui me surprend ». Lors de ces deux soirées, le pianiste anglais a en effet trouvé le chemin de notre cœur.
Au théâtre des Champs Elysées, le public est resté muet pendant près de 15 secondes avant d’ovationner l’artiste. A la Philharmonie, l’enthousiasme et les vivats ont été plus immédiats. Deux manières de remercier András Schiff pour ce voyage mémorable au cœur d’un monument musical d’une grande humanité.
Thierry Geffrotin
Paris, Théâtre des Champs-Elysées ; 9 décembre (Livre I) & Philharmonie de Paris, 18 décembre 2021 (Livre II) / www.piano4etoiles.fr
Photo © N.F. Romanini
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