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Béatrice et Bénédict à l’Opéra de Nantes - Beaucoup de bruit pour quelque chose - Compte-rendu
« La scène est en Sicile ». Partant de là, certains ont eu l’idée de puiser dans le folklore local, comme Dan Jemmett qui s’inspira des fameuses marionnettes de Palerme lorsqu’il monta Béatrice et Bénédict à l’Opéra-Comique en 2010. D’autres s’en affranchissent totalement, préférant se concentrer sur l’humanité des personnages, comme Damiano Michieletto pour sa production lyonnaise créée à huis-clos en 2020. A Nantes (et bientôt à Rennes et à Angers), Pierre-Emmanuel Rousseau retient la Sicile de Cosa nostra, remplaçant la guerre contre les Maures par un règlement de comptes entre mafieux, avec trafic d’armes et de substances variées. C’est un bon point de départ, et cet univers à la Coppola ou à la Scorsese se prête bien à l’humeur festive qui caractérise d’abord Beaucoup de bruit pour rien, la pièce de Shakespeare d’où Berlioz a tiré son opéra-comique.
© Bastien Capela pour Angers Nantes Opéra
Hélas, cette piste paraît bientôt difficile à poursuivre, et semble totalement oubliée au deuxième acte, où la Sicile se réduit aux costumes de la fête de Sant’ Agata à Catane pour la scène de Somarone ivre et à une Vierge portée en procession. Restent donc surtout l’amusante atmosphère Années 1980 avec robes à épaulettes et permanentes à la Pamela ou Sue Ellen de Dallas pour les dames, et des dialogues à peine réécrits pour les rendre conformes au concept, seule une scène parlée, entre des domestiques, étant supprimée au début du second acte. On admire surtout la manière dont Pierre-Emmanuel Rousseau déploie le chœur pendant toute la première partie du spectacle, utilisant avec brio la fête de mariage (en remplacement des réjouissances liées à la victoire militaire) comme toile de fond pour plusieurs airs et duos qui en deviennent plus naturels, sans être le moins du monde gênés par le mouvement à l’arrière-plan – chacun des membres du chœur a ses propres actions, ses propres déplacements. Il en résulte une atmosphère de comédie musicale qui convient assez bien à l’œuvre.
© Bastien Capela pour Angers Nantes Opéra
On apprécie aussi que l’ouverture soit donnée rideau baissé, ce qui laisse savourer sans distraction parasite l’écriture berliozienne, dont la direction de Sascha Goetzel met en valeur la finesse et l’originalité – ah, ces silences qui interrompent un discours à peine commencé – autant que le fracas propre à l’auteur de la Symphonie fantastique. L’Orchestre National des Pays de la Loire et le chœur d’Angers Nantes Opéra s’ébrouent avec bonheur dans cette musique réjouissante. Du côté des solistes, Frédéric Caton et Marc Scoffoni prêtent une voix solide à leurs personnages respectifs mais ne peuvent se faire entendre que dans des ensembles. En Somarone, Lionel Lhote a plus à faire comme acteur que comme chanteur, mais le fait fort bien. Pour en terminer avec les messieurs, Philippe Talbot continue d’inquiéter : après quelques brillantes années, le ténor semble en méforme persistante, avec une émission resserrée et un volume parfois confidentiel, même si demeurent un soin des nuances et une belle articulation du texte.
© Bastien Capela pour Angers Nantes Opéra
Quant aux dames, aucune des trois voix n’est exactement celle qu’on attend dans le rôle, mais le résultat n’en est pas moins intéressant et, à l’arrivée, convaincant. Sur le plan scénique, Marie Lenormand donne à Ursule un relief inaccoutumé, même sans avoir la densité dans le grave qu’on est habitué à entendre. Elle n’en donne pas moins une réplique adéquate à Olivia Doray. Souffrante quelques jours avant cette première, la soprano sort pourtant victorieuse de l’épreuve qu’est l’air d’Héro sur le plan de la virtuosité, seules les notes les plus hautes paraissant un peu dures dans les premières minutes. Son duo avec Ursule offre ensuite toute la sérénité attendue, et le trio qu’elles forment quand Béatrice les rejoint au second acte est lui aussi de toute beauté. Le tour que prend actuellement la carrière de Marie-Adeline Henry lui permet d’aborder un rôle d’ordinaire réservé aux mezzos, et sa Béatrice réussit à se montrer aussi percutante – hargneuse ? – qu’on l’attend, la véhémence de ses aigus étant mise au service de sa composition dramatique, superbe notamment dans le bel arioso « Il m’en souvient ».
Laurent Bury
Berlioz : Béatrice et Bénédict – Nantes, Théâtre Graslin, 11 octobre ; prochaines représentations à Nantes les 13, 15 & 17 octobre,
puis à Rennes les 12, 14, 16 & 18 novembre // opera-rennes.fr/fr/evenement/beatrice-et-benedict
dernière à Angers le 3 décembre 2023 // billetterietheatres.angers.fr/event/222692-beatrice-et-benedict-angers-nantes-opera
Photos : © Bastien Capela pour Angers Nantes Opéra
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