Trois ans plus tard le spectacle si libre et pourtant si respectueux d’Olivier Py  n’a pas pris une ride, miracle d’une direction d’acteur et d’un show qui tombent recta dans la musique de Bizet et se réapproprient la gitane de Mérimée pour en faire un personnage éternel qui nous regarde droit dans les yeux.

Si la musique de Bizet c’est la Révolution (et pas seulement celle de La Commune), Carmen c’est la liberté, et un théâtre foisonnant où Olivier Py s’est engagé tête baissée. Trop ? Jamais assez vu le sujet. L’occasion de vérifier qu’un chef-d’œuvre appelle des lectures qui osent, le portent, lui répondent. Gain de la reprise, une distribution en or. Arturo Chacón-Cruz a parfait son français et délivre toujours un Don José tout en nuance – un personnage du doute, de l’ombre,  de l’interrogation, de la douleur, car en fait Bizet a inversé les rôles. L’amant solaire, c’est le baryton, et Jean-Sébastien Bou triomphe dans son Escamillo ravageur. Voix, style, prestance, tout y est. Les comprimari sont fabuleux, si dessinés par Olivier Py, Micaëla a de l’aplomb, relue par Sophie Marin-Degor qui la fait bien plus avisée, bien moins oie blanche qu’à l’accoutumée.

Et Carmen ? Kate Aldrich y met son mezzo blond vénitien, couleur d’une voix accordée à la chevelure rousse que lui impose Py. Le style est surveillé, l’incarnation toute en subtilité, de mots, de couleurs, d’inflexions, révèle la profondeur de ce caractère imprévisible. Même lorsqu’elle charme, Aldrich semble chanter la mort. L’air des cartes est abyssal, et toute la folie théâtrale du geste de Py semble s’y dissoudre soudain.  Du grand art, un rien mené trop à la serpe par Riccardo Minasi. Mais on l’excuse : dans un tel spectacle où le « drive » est fondateur du style il faut garder le tempo.
Accueillie avec les réserves que suscitait son audace, cette Carmen risque bien de rester au répertoire. C’est celle qu’il fallait au XXIe siècle.

Jean-Charles Hoffelé
 
Georges Bizet : Carmen - Lyon, Opéra, le 2 mai, prochaines représentations les  5, 7, 9, 11, 13, 15 et 17 mai 2015
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Photo © Bernard Stofleth