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Carte blanche à Peter Eötvös à la Maison de la Radio - Composition, direction, invention - Compte-rendu

 Il faut souligner le geste fort de Radio France en direction de la musique contemporaine. Ouverts depuis une semaine à peine, le Studio 104 rénové et le tout nouvel Auditorium de la Maison de la Radio accueillaient Peter Eötvös, 70 ans, l'une des grandes figures actuelles de la création musicale.
Comme pour d'autres compositeurs-chefs d'orchestre – on pense bien sûr à Pierre Boulez – les deux activités du musicien hongrois sont indissociables.
À la tête de l'Ensemble intercontemporain puis de l'Orchestre philharmonique de Radio France a ainsi donné à entendre une production étalée sur les trois dernières décennies. Steine (1985-1992), qui s'ouvre ex abrupto fait d'une certaine manière figure de manifeste. Dédiée à Pierre Boulez, cette œuvre pour un ensemble de vingt-deux musiciens s'apparente à une sorte de cosmogonie musicale où différents blocs instrumentaux s'entrechoquent. Métrique précise ou, au contraire, temps suspendu ; accords écrits ou hauteurs indéterminées (ces pierres frappées, comme une remontée aux origines de la musique) : l'œuvre provoque une interaction permanente au sein d'un orchestre toujours sur le qui-vive.

Avec deux extraits de l'opéra Le Balcon (d'après Jean Genet), ce premier concert rappelait aussi la place qu'occupe Peter Eötvös dans la création lyrique et son habileté à composer une narration théâtrale moderne, débarrassée des oripeaux du grand opéra. Les trois concertos qu'il dirigeait le lendemain à la tête de l'Orchestre philharmonique de Radio France témoignent aussi d'une certaine forme de narration, voire de théâtre. C'est le cas particulièrement de Speaking Drums (2013), dans laquelle l'orchestre (une quarantaine de musiciens) prolonge le jeu – scénique autant que musical – du jeune percussionniste Martin Grubinger (époustouflant), qui prend également en charge le texte de Sándor Weöres. Le soliste déambule de place en place sur scène, crée ainsi des connexions avec tel ou tel instrument de l'orchestre. Néanmoins, la forme générale de l'œuvre garde le profil d'un concerto en courbe ascendante, jusqu'à la résolution finale, d'une polyrythmie hautement virtuose.

Les deux autres concertos au programme, œuvres récentes également, jouent plus encore le « grand jeu classique » que l'on attend d'eux. Toute l'invention de Peter Eötvös est ici dans l'équilibre parfait qu'il obtient entre l'orchestre et ses remarquables solistes (Jean-Guihen Queyras pour le Concerto grosso pour violoncelle et orchestre, la violoniste Midori pour DoRéMi.
 
Jean-Guillaume Lebrun
 
Paris, Maison de la Radio, les 21 et 22 novembre 2014.

Photo © Andrea Felvégi

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