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Castor et Pollux au Théâtre des Champs-Elysées de Paris - A la spartiate - Compte-rendu
L’année Rameau n’en finit pas d’épandre ses trésors : qui aurait prédit, au siècle dernier, que la France en viendrait à proposer simultanément trois productions de Castor et Pollux (à Paris, à Lille, qui reprend le spectacle créé à Dijon(1), et au Festival de Lanvellec, par l’ensemble Ausonia ) ?(2) (3) Dans tous les cas, c’est la version tardive de l’œuvre, la réfection de 1754 qui a été choisie – choix inverse à celui effectué par les précurseurs, Harnoncourt et Christie, qui privilégiaient la mouture originale de 1737, plus uniment « sublime », plus profonde, peut-être, moins disparate mais aussi nettement moins aisée à monter.
Non que la réalisation scénique de Christian Schiaretti, au Théâtre des Champs-Elysées, ait paru très aboutie… Comme souvent, de nos jours, le scénographe en dit beaucoup plus dans le programme de salle, où il analyse savamment les thèmes de la gémellité, du double, de la politique spartiate, qu’il n’en montre sur le plateau.
Celui-ci représente… le Théâtre des Champs-Elysées, ou, du moins, une sorte de « double », réduit et soigné, de l’intérieur du bâtiment. Admettons d’ailleurs que Schiaretti et son décorateur voient assez juste, en termes de tonalité, lorsqu’ils rattachent la salle de l’avenue Montaigne, construite en 1913, à un « rêve grec », dans lequel ils englobent aussi la seconde tragédie lyrique de Rameau, la plus épurée, la plus néoclassique.
A ce titre, l’élégance Art déco qu’ils confèrent à leur production (ou, du moins, aux costumes des dames, très années 1920), n’a rien de déplacé, non plus que la grâce à la fois langoureuse et contrainte qu’ils imposent aux personnages. Mais l’abus de cuirasses dorées et de lances brandies empèse le propos, d’ailleurs nourri par trop peu d’événements scéniques.
Quelques réussites - la soudaine sauvagerie de la populace dans « Que l’enfer applaudisse !», devant laquelle Télaïre recule de dégoût ; les conclusions d’acte gérées diminuendo ; le dénouement étoilé - ne suffisent pas à construire une dramaturgie, ni à excuser la banalité des propositions de l’Acte IV : si l’enfer rappelle l’univers des Xmen ou de Hellboy, le paradis, c’est-à-dire les Champs-Elysées, est un endroit où il fait bon… dormir ! Les gérants du théâtre apprécieront.
Ajoutons que la scénographie se voit trop souvent phagocytée par une chorégraphie (d’Andonis Foniadakis) tout en jetés de bras et de jambes, que Schiaretti juge percutante mais qui nous a surtout paru mimer une pub pour déodorant.
Même approximation côté orchestre. Hervé Niquet, chef vigoureux mais ne faisant pas dans la dentelle, a-t-il de véritables affinités avec l’arachnéen Rameau ? Avec Platée, avec Les Indes, peut-être, mais avec l’altier Castor… Son récitatif, qui court à marche forcée, ne respire jamais. Ailleurs, le trais reste épais, fruste, parfois efficace (une cérémonie funèbre, une chaconne assez sensuelles, malgré l’abus de marcato), trop souvent appuyé en même temps qu’imprécis. L’orchestre, et surtout le chœur, sont au diapason de cette vision brutale : parfois enthousiasmants par leur fougue, parfois franchement grossiers (l’Acte III).
Si tous les solistes avaient été du gabarit du bel Edwin Crossley-Mercer - Pollux sonore, mordant, compact, mais guère doué pour le legato (« Présent des dieux ») -, la distribution aurait, elle aussi, paru en phase avec la direction d’orchestre. Mais pourquoi, en Castor, avoir choisi le frêle John Tessier (jolie petite voix cristalline à la Anders Dahlin, encore fort timorée, scolaire dans ses airs et qui ne semble se réveiller qu’à l’Acte V) – pourquoi, alors qu’on dispose du solaire, juvénile et éclatant Reinoud van Mechelen (qui casse la baraque, devant le rideau baissé, dans la redoutable ariette de l’Athlète) ?! L’imposant mais bougonnant Jean Teitgen (Jupiter) et le probe Marc Labonenette (le Grand-prêtre) complètent ce bizarre panel masculin.
Côté dames, des déceptions – Phoebé tout d’une pièce, monochrome et guère intelligible (Michèle Losier), Cléone assez débraillée, ce soir-là (étonnant de la part d’Hasnaa Bennami, qui vient d’enregistrer une belle Corisande dans l’Amadis dirigé par Rousset) (4). Télaïre échoit à la ravissante mais encore fragile Omo Bello : timbre clair et fruité, tessiture tenue malgré quelques instabilités, émouvante dans « Tristes apprêts » - attendons de voir, ou plutôt d’entendre, comment fleurira cette promesse…
Olivier Rouvière
(1)Lire le CR : www.concertclassic.com/article/castor-et-pollux-lopera-de-dijon-la-tragedie-nu-compte-rendu
(2) www.festival-lanvellec.fr/index.php?page=programme&concert=concert5
(3) En attendant la reprise, en mars, à Toulouse, de la production de Vienne due à Christophe Rousset et
Mariame Clément ! www.theatreducapitole.fr
(4) Lully : Amadis, dir. C. Rousset ( 3CD Aparté - AP 094)
Rameau : Castor et Pollux – Théâtre des Champs-Elysées, 15 octobre, prochaines représentations les 17, 19 et 21 octobre 2014, www.concertclassic.com/concert/castor-et-pollux-rameau
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