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Cavalleria rusticana et Pagliacci à l’Opéra Bastille - Faut que ça saigne - Compte-rendu

Incongruité : on donne avant Cavalleria rusticana le Prologue de Pagliacci, et donc sans Prologue, Pagliacci se voit affublé du convoi funéraire de Turiddu , expédié sur le mode ironique. Ce sera la seule idée un peu originale offerte par Giancarlo Del Monaco dans cette production du Teatro Real de Madrid qui n’est qu’illustrative, malgré un léger frémissement au début de l’ouvrage de Leoncavallo où l’on additionne des images d’Anita Eckberg dans sa fontaine. Ironie là encore autour de cette « dolce vita » italienne que les deux ouvrages manifestes du vérisme s’entendent à démentir, eux qui ne parlent que sang et folie ? De fait on est bien dans une Italie des années cinquante, mais pour une simple transposition.

Pour le reste rien à dire, sinon que Cavalleria rusticana est interminable avec ses processions millimétrées et sa carrière de polystyrène. Pour son entrée au répertoire de la Grande Boutique, c’est assez court, d’autant que l’ouvrage de Mascagni, s’il joue le rôle de bannière, n’en est pas moins loin d’être son chef d’œuvre et ce malgré sa popularité, avec sa dramaturgie creuse (et toujours retardé par l’interminable portrait de la ruralité sicilienne) et son orchestre horrible que seul l’Intermezzo allège soudain.
Violetta Urmana (que Del Monaco dissimule sous une planche !) fait une belle Santuzza, débarrassée des grandes lignes de souffle et d’intonation qu’exigeait sa Leonora de La forza del destino, de sinistre et récente mémoire. Mais ça et là le vibrato hulule tout de même. On passe sur le Turiddu athlétique et sans style de Marcello Giordani (mais en écrivant ce papier on a encore quand même un peu mal aux oreilles), on applaudit la Lucia très tenue et parfaitement chantée de Stefania Toczyska et la belle composition de Frank Ferrari, de plus en plus artiste. Daniel Oren les assomme tous d’un jéroboam constant de décibels.

Mais il change son fusil d’épaule pour Pagliacci, raffine, commente, poétise même. Péché mortel, il découpe la grande scène finale, la privant de tout élan. Par attention envers Vladimir Galouzine, Canio émouvant mais en voix sourde (fatigue passagère, mais deux gestes de l’exceptionnel acteur qu’il est suffisent à rééquilibrer la balance) ? Probablement. Le plateau est cette fois somptueux, avec le Sylvio ardent de Tassis Christoyanis, le Tonio de Sergey Murzaev, moins tonitruant qu’à l’habitude, le joli Beppe de Florian Laconi qui fait sa sérénade très artiste. On craque pour la Nedda de Brigitta Kele, pour sa sensualité dans son air d’amour, pour la fraîcheur de l’élan et la plénitude d’une voix qu’on suivra avec attention : mais on la gronde aussi de pincer un si joli timbre pour faire de son personnage de tréteaux une caricature. Le jeu physique suffisait, inutile de contrefaire un si bel instrument.

Public aux anges qu’on lui rende ces piliers du répertoire, nous en râleur impénitent on aurait préféré de Leoncavallo Bohème et de Mascagni L’Amico Fritz !

Jean-Charles Hoffelé

Mascagni : Cavalleria Rusticana / Leoncavallo : Pagliacci Paris, Opéra Bastille le 13 avril, prochaines représentations les 17, 20, 23, 26 et 28 avril et les 2, 6 et 11 mai 2012

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Photo : Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca
 

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