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Clément Lefebvre interprète Scriabine – Au-delà des notes – Compte-rendu

Depuis le début de son parcours discographique, Clément Lefebvre enchaîne les réussites ; un tout premier album Couperin/Rameau (Evidence), miraculeux de poésie, suivi d’un Ravel (Evidence) non moins merveilleux et essentiel – pas étonnant que Philippe Bianconi, dans le cadre de son intégrale Ravel, ait fait appel à son jeune collègue pour Ma Mère l’Oye (La Dolce Volta) ... Plus récemment, le pianiste s’est montré sous son visage chambriste, nouant un intense dialogue avec l’archet d’Eva Zavaro dans des pages de Fauré et Szymanowski (La Dolce Volta).

Autour du Scriabine première manière
Le revoici en soliste avec un récital Scriabine, chez le même éditeur.(1) Autour de la 3ème Sonate pour piano op. 23 (1898), il a rassemblé des opus appartenant tous aux débuts du compositeur, des Impromptus à la Mazur op. 7 aux Poèmes op. 32 et à la Valse op. 38 (1903), en passant par les Impromptus op. 10, 12 et 14 et la Fantaisie op. 28. Autant dire la musique d’un créateur – entre sa vingtième et sa trente-deuxième année– très imprégné d’influences romantiques, celle de Frédéric Chopin au premier chef.

© Lyodoh Kaneko
Regarder vers l’étoile
Terrain compliqué pour les interprètes que ce Scriabine post-romantique, « première manière », où ils doivent trouver la voie entre l’héritage et tout ce qui déjà signale la singularité du compositeur. Confronté à des pages antérieures au tournant de la 4e Sonate op. 30, Clément Lefebvre offre une approche d’une remarquable pertinence. Intitulé « Con eleganza » – un emprunt à l’indication de caractère du Poème op. 32 n° 2 (Allegro, con eleganza, con fiducia), son enregistrement souligne aussi bien l’attachement de Scriabine à la source romantique que son aspiration – brûlante ô combien ! – à la dépasser.
On peut être tenté de faire comme si le cap de l’Opus 30 avait été franchi et projeter la musique dans le futur – déjà s’élancer vers l’étoile. Toute la force et la séduction de l’interprétation de Clément Lefebvre tiennent précisément à ce qu’il ne brûle pas les étapes et assume pleinement le post-romantisme de l’écriture ... tout en regardant constamment vers l’étoile. Envoûtante manière de saisir l’au-delà des notes chez un compositeur « en partance », pourrait-on dire.
Ecoutez seulement l’Andante de la Sonate n° 3, vraie musique des sphères déjà, ou l’Impromptu op.14 n°2 qui pressent les éthers d’œuvres futures, sans parler du finale de l’Opus 23 ou de la brûlante Fantaisie en si mineur. Envoûtant de bout en bout, le nouvel enregistrement de Clément Lefebvre séduit d’autant plus qu’il bénéficie d’une prise de son d’une fidélité rare au jeu et à la démarche de l’interprète.

© Lyodoh Kaneko
Un authentique artiste
On n’en était que plus convaincu, le 10 avril dernier à la salle Cortot, à la fin de la soirée fêtant la sortie d’un album scriabinien à découvrir sans faute. Le Russe y occupait évidemment une place de choix (Impromptus op. 12, Poème op. 32/1, Impromptus op. 14, Sonate n° 3), servi par un jeu d’une richesse de coloris et d’une souplesse de ligne admirables, et pas moins foisonnant de prémices et pressentiments qu’au disque. Mais on aura aussi pu entendre, non moins aboutis, l’Impromptu op. 36, la Ballade n° 4 de Chopin et la Mort d’Isolde de Wagner/Liszt – qui faisait un peu oublier le virtuose/transcripteur pour mieux faire chanter Wagner. En ouverture de son récital, Clément Lefebvre avait placé un contemporain de Scriabine : Debussy. Une 2e série d’Images avec des Poissons d’or où, pour paraphraser Victor Segalen, l’interprète a su descendre tout au fond des profondes eaux du laque et saisir – au-delà des notes, une fois encore – le symbolisme de l’inspiration et la prodigieuse modernité du rapport au timbre. Cela avec la simplicité et le naturel qui distinguent un authentique artiste.
Notes sur vos tablettes les prochains rendez-vous avec Clément Lefebvre : Conservatoire de Béthune (16 & 17 mai), Château de La Fesnaye (24 mai), Festival de La Prée (8 & 9 juin) – magnifique réunion de jeunes artistes sous la houlette d’Hortense Cartier-Bresson –, Festival de Durtal (20 juin), Musicales de Gadagne (29 juin).
Alain Cochard

(1) 1 CD La Dolce Volta LDV 141
Calendrier des concerts de Clément Lefebvre : clementlefebvrepianiste.com/concerts/
Photo © Lyodoh Kaneko
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