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​Festival de Pâques d’Aix-en-Provence 2025 – Sacrées soirées – Compte-rendu

 

Pour les musiques sacrées, la Semaine sainte est une mine d’or. Avec la Passion selon saint Matthieu et l’Oratorio de Pâques de Jean-Sébastien Bach, mais aussi les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, le Festival printanier d’Aix-en-Provence n’a pas dérogé à la règle …

 

Emiliano Gonzalez Toro & I Gemelli © Caroline Doutre

 
Un total en engagement dans Monteverdi

 
Ce sera assurément l’un des temps forts de cette édition du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence ; pour donner les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, mercredi, la grande salle aixoise accueillait Emiliano Gonzalez Toro ainsi que les instrumentistes et choristes de l’Ensemble I Gemelli – des interprètes qui ont livré il a peu un enregistrement du Vespro, aussi remarquable d’un point de vue musical qu’éditorial (chez Gemelli Factory).
Dès les premières mesures, la voix d’Emiliano Gonzalez Toro capture l’attention pour ne plus la relâcher. Le ténor, depuis une position centrale, face aux musiciens et à la salle, réalise une fois de plus une performance artistique de haut niveau, avec son attention requise par les voix et les instruments qui l’entourent, et qu’il doit diriger, mais aussi par sa propre partie vocale, comme une colonne vertébrale de l’ouvrage ; épuisant, mais payant…
Les polyphonies monteverdienne prennent ici du corps et du relief, idéalement servies par un chœur « à géométrie variable » et en mobilité permanente à l’instar de l’âme et des complexités d’un mouvement d’horlogerie qui ferait tourner les aiguilles de la vie. Du souffle, de la modernité bienvenue : tout est juste dans cette production bénéficiant aussi d’instrumentistes totalement engagés dans la démarche avec un continuo soutenu, voire guidé, par une harpe omniprésente, des cordes soyeuses et des vents totalement maîtrisés. Difficile de ne pas jubiler à l’écoute de ce bijou polyphonique, ode joyeux à la bienheureuse vierge, on ne peut mieux servi par une vraie « famille musicale » unie autour d’une écoute mutuelle qui permet de conférer sa pleine dimension à cette œuvre majuscule de l’histoire de la musique.

 

Thibault Noally & Les Ambassadeurs - La Grande Ecurie © Caroline Doutre
 
Une trop sobre saint Matthieu

 
Composée par Bach pour solistes, double chœur et deux orchestres, la Passion selon saint Matthieu appartient aux œuvres monumentales de la musique baroque. Mais en fait de monument, l’édifice façonné par le directeur musical Thibault Noally, à la tête des Ambassadeurs–La Grande Ecurie; pour le Festival de Pâques aixois était quelque peu maigrelet. Certes les deux orchestres étaient là, mais point de masse chorale, le fameux double chœur étant assuré par les solistes, quatre à jardin, quatre à cour, effectif « renforcé » par quatre voix supplémentaires en fond de scène.
Dès lors, et même si les orchestres sonnent bien, difficile de procurer à l’interprétation la totalité de son intensité dramatique. Les chorals sont plutôt élégants mais manquent de chair et de volume et la linéarité de la lecture annihile toute tentative d’élévation spirituelle. On est bien loin, ici, des prestations qui ont marqué l’histoire du Festival de Pâques à Aix-en-Provence, la dernière en date étant celle de Christophe Rousset en 2023. Du côté des solistes on peut souligner la qualité de la prestation de l’évangéliste, le ténor Valerio Contaldo, triplement sollicité puisque récitant, soliste et… choriste ! Par son engagement il tente d’apporter l’intensité dramatique qui fait cependant cruellement défaut à l’ensemble. Le contre-ténor William Shelton, timbre rond et voix bien projetée séduit, de même que Julie Roset, voix souple qui aurait gagnée à être entendue dans une salle à l’acoustique mieux adaptée au baroque.
 
 
Lumineux oratorio pascal
 
Au Grand Théâtre de Provence, si la pierre tombale s’est refermée sur le Christ au soir de la Matthäus-Passion, la sépulture s’est ouverte dimanche soir avec un lumineux Oratorio de Pâques proposé par Christophe Rousset (photo) et ses troupes. L’occasion d’avoir la confirmation que Bach mérite bien un chœur, même de chambre, et que celui de Namur est l’un des meilleurs pour servir les œuvres du cantor. A la direction de ce dernier et de ses Talens Lyriques, Christophe Rousset a renoué avec les bonnes ondes d’un lieu qui lui convient.
Si les deux cantates données en première partie de programme (BWV 66 et 134) célèbrent la résurrection « Que les cœurs se réjouissent » et « un cœur qui sait que son Jésus est vivant », elles le font en toute intériorité, voire avec une forme d’austérité. Ce qui ne retire rien de la qualité du travail effectué par les musiciens et les choristes, ainsi que par les solistes Mari Askvik (alto), Nick Pritchard (ténor) et Adrien Fournaison (basse). Un trio rejoint par la soprano Anna El-Khashem pour l’entrée en lumière avec cet Oratorio de Pâques qui, caché derrière les deux passions, fait partie des compositions peu données de Bach à cette époque de l’année. Une partition superbe, construite autour des trois airs (soprano, ténor et alto) encadrés par deux chœurs somptueux qui permet aux solistes de faire valoir leurs qualités; ce dont ne se sont pas privés Anna El-Khashem, superbe ligne de chant, projection idéale, Nick Pritchard, tout en précision et puissance, Mari Askvik, voix ample, chaude et colorée et Adrien Fournaison, avec puissance et profondeur. Le tout sous la direction sereine et attentive de Christophe Rousset qui, il nous l’a confié à l’issue de sa prestation, aimerait diriger la Saint Jean au Festival de Pâques aixois, histoire de boucler ici une boucle heureuse consacrée à Bach. Le public ne s’en plaindrait pas, Renaud Capuçon en est informé …
 
Michel Egéa

 

 Grand Théâtre de Provence, Monteverdi (16 avril), Saint Matthieu (18 avril), Oratorio de Pâques (20 avril) // Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, jusqu’au 27 avril 2025 // festivalpaques.com/programme
 
© Caroline Doutre

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