Journal
Compte-rendu : Allemagne / Don Giovanni à la Deutsche Oper Berlin - Provocante relecture
Tandis que les Filles du Rhin s'ébattaient au Schiller Theater en raison des travaux effectués à la Staatsoper, Don Giovanni occupait la scène de la Deutsche Oper. Passons rapidement sur la calamiteuse direction de Roberto Abbado, copieusement huée et indigne d'un tel lieu (pourquoi ces récitatifs accompagnés au piano et au violoncelle ?), pour décrire le spectacle très conceptuel du jeune Roland Schwab. Après Brook, Haneke, Bieito ou Tcherniakov, voici une nouvelle proposition excessive, tirée par les cheveux, imparfaite certes, mais dont le travail et la réflexion d'ensemble ne peuvent laisser indifférents.
Gourou d'une secte, Don Giovanni domine une armada de jeunes hommes à son image. Ainsi peut-il commettre sans crainte viols et meurtres en tous genres (celui du Commandeur se fait à coups de clubs de golf) et se fondre aussitôt à ce groupe pour s'y dissimuler. Don Giovanni séduit, ordonne, réprimande, insulte ou ridiculise en toute impunité, ses doubles faisant corps ou écran, jusqu'à son valet qui le suit comme une ombre et subit lui aussi toute une série d'épreuves.
Dans un décor uniformément noir (Piero Vinciguerra), à l'exception des noces de Masetto et de Zerlina éclairées de néons ou de lumières rouges, Don Giovanni va son chemin dans la frénésie générale, entraînant son monde dans une macabre fête foraine (final du 2) où ses sbires poussent un manège luciférien, tandis que de folles attractions défilent. Si une fois encore il échappe à la colère de ceux qu'il a offensés, les cartons brandis après chaque exaction, se rapprochent inexorablement du numéro 1. Après s'être fait passer pour Leporello auprès de Donna Elvira (acte 2), avoir raillé le Commandeur - en se moquant ici des spectateurs, pris pour des pierres tombales - c'est à Jésus qu'il s'attaque en singeant la cène lors du banquet préparé pour son invité, au cours duquel il partage le pain et le vin avec ses douze "apôtres". Dans une dernière bravade, le dissoluto tend la main dans le vide à la voix venue de l'au-delà et s'affaisse, alors qu'autour de lui règne le chaos. Mais le voici qui se relève déjà, hilare, un carton jaune n°1 en main, avant de le lancer en l'air et de prendre la fuite.
Relecture on le voit très riche, trop peut être, qui fourmille de détails, d'idées parfois vulgaires, souvent appuyées, mais déborde d'énergie et d'inventivité. Sur le plateau les interprètes, entourés de créatures en perpétuel mouvement, sont dirigés avec minutie et se prêtent de bonne grâce à cette aventure.
Dans le rôle-titre, Ildebrando d'Arcangelo roule des mécaniques et incarne avec une belle assurance un être sans scrupule, manipulateur redoutable, à la virilité glaçante, d'une voix cependant un peu trop uniforme. Véritable triomphateur de la soirée, Alex Esposito, découvert à Toulouse en 2008 dans Les Noces de Figaro, est un Leporello exceptionnel tant sur le plan physique – il exécute un véritable marathon scénique ! - que vocal, son baryton souple à la musicalité infaillible lui permettant toutes les audaces.
Très belle Donna Anna de Marina Rebeka, au timbre enveloppant et à la technique souveraine, qui culmine dans un exemplaire "Non mi dir", Ruxandra Donose campant une Elvira au chant discipliné et à l'élégance préservée même dans les scènes les plus scabreuses. Si Yosep Kang est un bel Ottavio, Krzystof Szumanski et Martina Welschenbach sont assez ternes en Masetto et Zerlina, tandis que Ante Jerkunica chevrote à volonté en Commandeur. Salle partagée, houleuse mais réceptive.
François Lesueur
Mozart : Don Giovanni - Deutsche Oper Berlin, le 26 octobre, dernière représentation le 4 novembre 2010
Programmation détaillée de la Deutsche Oper Berlin : www.deutscheoperberlin.de
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Photo : Marcus Lieberenz
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