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Compte-rendu : Allemagne - Opulence et éclectisme - Jan Vogler aux commandes du Festival de Dresde
Comme les fabuleux trésors amassés par Auguste le Fort, Grand Electeur et roi de Pologne, sous la fameuse Voûte Verte de son palais de Dresde, la musique coule à pleins flots dans cette Venise de l’Elbe, grâce à de multiples lieux d’accueil dont le Festival de Dresde s’enorgueillit: de la grandiose Frauenkirche – d’acoustique difficile il est vrai- à l’exquis vestige de Palais d’été dans le Grossen Garten, parois râpées et chapiteaux brisés façon Bouffes du Nord, mais sonorité royale. Ce qui permet à cette opulente manifestation, née en 1978, de garder son prestige, car elle connut, en pleine guerre froide, des heures de gloire avec des invités qui avaient nom Karajan, Abbado, Mehta . La fameuse Staatskapelle, formation légendaire du pays saxon, y était le garant de la bonne tenue musicale de la ville.
A ce jour, c’est à une plus vaste ouverture vers le monde que prétend le nouveau directeur du Festival, Jan Vogler, qui lui imprime un second souffle. A quatrante-six ans, il a fait ses classes d’organisateur et de programmateur à Moritzburg, l’exquis relais de chasse reconstruit en 1703 par le Grand Electeur près de Dresde, où il gère encore un poétique Festival, cette année dévolu à Schumann. Vie emblématique que celle de ce violoncelliste dont le talent s’épanouit sur son magnifique Domenico Montagnana de 1721 : de Berlin-Est où il naquit, à Dresde où il joua dans les deux grands orchestres de la ville, puis entamant une carrière de soliste, marié à une violoniste chinoise et vivant à New York, le voilà aujourd’hui faisant le pont entre les deux rives atlantiques pour injecter son enthousiasme et son esprit de conciliation à ce festival que le monde musical ne connaît pas assez. De cette situation à part, le directeur dit que « pour les gens de l’Est, Dresde est à l’Ouest et que pour ceux de l’Ouest elle est à l’Est ». Bref un centre d’influences où peut se jouer une nouvelle page du mondialisme musical. Et Vogler, réfléchi autant que tourbillonnant, n’a pas hésité à faire de la culture russe le moteur central de cette session, après avoir exploré le Nouveau Monde l’an dernier.
« Russlandia », thème de l’année, a donc regroupé des invités spectaculaires, comme Gergiev, Bychkov - dirigeant avec son orchestre de Cologne un Sacre du Printemps barbare et ciselé à la fois, avec sa pulsion si particulière - ou Pletnev et Repin, avec le Mariinski, le Bolchoï et l’Orchestre national de Russie. Mais le thème ne doit pas dévorer toute la teneur du festival. D’autres stars sont donc venues d’ailleurs, telles Cecilia Bartoli ouvrant le jeu, puis Murray Perahia avec l’Orchestre St Martin in the fields, et des petites merveilles, comme l’ardent duo des sœurs Baiba et Lauma Skride. Ou le Concerto pour violoncelle de Tigran Mansourian, le compositeur arménien au style ultrasensible et pénétrant, bien plus célébré en Allemagne qu’en France. Pour la création à Dresde de cette oeuvre, c’est encore Jan Vogler, dédicataire de l’œuvre, qui a donné son énergie et montré la profondeur de son jeu.
Comment arriver à tout concilier ainsi ? « Je sais déléguer », dit cet homme infatigable, qui chaque matin, quel que soit l’horizon du jour, se ressource avec son violoncelle, indispensable à son équilibre. Son vœu? Que Dresde, de ville martyre redevenue ville vivante, où les palais baroques font bon ménage avec des salles modernes greffées sur des structures du XVIIIe siècle, soit une porte ouverte sur l’avenir, et sur l’ailleurs: aussi a-t-il joliment fait culminer le festival sur de folles musiques Klezmer, et ouvert la Halle de Dresde à une expérience unique : mêler des jeunes peu aidés par la vie pour explorer ensemble, grâce à la danse, l’énergie de Moussorgski et Stravinski. Dans le même esprit que celui de Simon Rattle dans les banlieues berlinoises. Un exemple miraculeux.
Jacqueline Thuilleux
Festival de Dresde, du 19 mai au 6 juin. Concerts des 1 et 2 juin 2010.
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Photo : DR
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